Vous connaissez tous cette histoire : le garçonnet crie
au loup alors que loup il n’y a pas, une fois, deux fois, trois fois, la
quatrième fois, loup il y a, mais plus personne ne fait confiance au garçonnet,
donc plus personne ne s’inquiète et plus personne ne se dérange pour intervenir. C’est
ce que fait une frange de musulmans avec leurs cris à l’islamophobie.
L’hostilité envers les musulmans ou envers les Arabes
(souvent confondus par ceux qui leur sont hostiles), elle existe. Cependant, à
force de tout amalgamer, pour reprendre un terme à la mode, et d’insérer le mot
islamophobie partout, on risque de lasser beaucoup de gens.
Par exemple, pas moyen de s’exprimer contre le voile
islamique sans être taxé d’islamophobie et de racisme. Le voile est pourtant
une pratique, et s’opposer à une pratique se distingue de rejeter un groupe de
personnes. C’est une pratique qui n’est ni répandue chez toutes les musulmanes,
ni même approuvée par tous les musulmans, ni d’ailleurs exclusive aux musulmans
(faire reposer sur les femmes la responsabilité de se cacher pour ne pas
attirer le regard des hommes, imposer socialement ou par prescription
religieuse une plus grande pudeur aux femmes qu’aux hommes, ça a existé et ça
existe dans des sociétés qui ne sont pas musulmanes). Il n’y a pas de raison de
prendre pour acquis que s’opposer au voile est nécessairement motivé par le
racisme, ni par une hostilité envers les musulman(e)s en général. Refuser d’admettre
jusqu’à la possibilité théorique que l’opposition au voile puisse être motivée
par autre chose que le racisme et l’islamophobie, ça manque pour le moins de
nuance, ça diabolise beaucoup de gens sans leur donner ni le bénéfice du doute,
ni la possibilité de vraiment expliquer leur point de vue.
La laïcité est soupçonnée d’être un cover pour camoufler l’islamophobie. Comme le disait avec ironie un
ami à moi il y a environ un an : « Bien sûr, il faut comprendre que
la laïcité a été établie en 1905, dans le but sournois de s’en prendre aux
immigrants musulmans un siècle plus tard. » Ce ne sont certainement pas
certaines interprétations de l’islam, selon lesquelles la religion doit être
omniprésente, qui sont incompatibles avec la laïcité. Non ! c’est la laïcité
qui a été faite pour s’en prendre aux musulman(e)s (et les musulman(e)s qui
appuient la laïcité sont des traitres, ou encore des pions à la solde de l’Occident).
Il en va de même pour l’athéisme militant et l’anti-théisme.
Peu importe la fréquence à laquelle un anti-théiste critiquera d’autres
religions, dès qu’il parlera de l’islam, il se trouvera des gens pour le
traiter de raciste et pour prétendre qu’il ne s’en prend pas aux religions,
mais à une en particulier. J’imagine que les fois où un anti-théiste ou un
athée militant parle des créationnistes aux États-Unis ou des témoins de
Jéhovah qui préfèrent mourir plutôt que d’accepter une transfusion de sang, c'est un cover, ça aussi…
Les actions, croyances et pratiques liées à l’islam contre
lesquelles on s’exprime auront beau être violentes, sexistes, misogynes,
homophobes, opprimantes pour des enfants, rien à faire : la motivation
première, c’est encore et toujours forcément l’islamophobie. « Vous
instrumentalisez les femmes et les LGBT juste pour cibler les musulmans, d’habitude
vous ne vous en souciez pas ! » peut-on lire ou entendre de la part de certains
militants autoproclamés de gauche. Ça va bien quand on lance une phrase comme
ça en s’adressant à la Meute, puisqu’elle est honnie et ridiculisée partout
dans les médias ; en dépit de cela et qu’elle n’ait guère de pouvoir, en plus d’être
pour le moins mal organisée, elle est devenue, c’est le cas de le dire, un loup
présenté comme très menaçant. Tout de même, c’est étrange, parce que les
féministes radicales, comme celles de Pour les droits des femmes du Québec
(PDFQ), ou des militants LGBT qui sont actifs depuis bien longtemps, comme
André Gagnon, se font aussi taxer de racisme et d’islamophobie à cause de leur
appui à la laïcité, de leur dénonciation du sexisme et de l’homophobie, y
compris quand celles-ci sont liées à l’islam. Alors le souci des premières pour
l’égalité entre les hommes et les femmes, et le militantisme du second pour les
droits des LGBT, n’auraient été qu’une très longue mise en scène pour éventuellement
s’en prendre aux musulmans tout en ayant l’air de faire autre chose?
La critique de l’islamisme, que l’on retrouve chez plusieurs
personnalités publiques telles que Djemila Benhabib, Karim Akouche, Fatima
Houda-Pepin, Nadia El-Mabrouk, Hassan Jamali, Tarek Fatah, Maajid Nawaz et bien
d’autres, ça aussi, c’est de l’islamophobie. Quel que soit le soin que prennent
ceux qui affirment critiquer les islamistes et non les musulmans pour faire la
différence entre les deux concepts, ça doit être un cover, ça aussi. Ceux qui mettent beaucoup d’énergie à mettre en
garde contre l’islamisme n’ont guère plus de chance que les féministes
radicales, les militants pour les droits des LGBT qui n’acceptent pas que leur
cause devienne secondaire quand c’est l’islam qui menace leurs droits, les
partisans de la laïcité et les anti-théistes. Il n’y a qu’une catégorie pour
englober tout ce beau monde : les islamophobes.
Ne surtout pas évoquer des personnalités publiques
musulmanes que l’on respecte, ni des musulmans de son propre entourage avec qui
on s’entend bien, parce qu’alors, on se fait accuser de s'octroyer le droit distinguer
les « bons musulmans » des « mauvais musulmans ». Cela est
en soi islamophobe. Comme si c’était différent de distinguer, en général, les bonnes
personnes des mauvaises personnes, et d’avoir conscience que les unes et les
autres peuvent exister chez les musulmans comme dans les autres groupes d’humains.
Ou encore, on risque de se faire sortir une phrase toute faite : « C’est
comme celui qui dit « Chu pas raciste, j’ai un ami noir. »! »
Le mot « islamophobie » a perdu sa crédibilité aux
yeux de bon nombre des gens, à force d’être constamment utilisé, sans aucune
prudence, sans aucune nuance. Ne vous surprenez pas qu’aujourd’hui, des gens
disent en roulant les yeux : « Oui oui, c’est ça, les gens sont
islamophobes… » C’est comme les hommes dans l’histoire : « Oui
oui, bien sûr, un loup… » Et n’oubliez pas : à force d’entendre
hurler pour rien, les hommes ont cette réaction même quand le loup est réel.