Porter le voile "pour voir ce que ça fait", partie 3 : c'est toujours aux femmes de céder

Par: Annie-Ève Collin

Ceci est le troisième d'une série d'articles sur la pratique qui consiste, pour des non musulmanes, à porter le voile durant le ramadan, soi-disant par solidarité.


Je rageais en lisant le dernier chapitre d’Émile de Jean-Jacques Rousseau, celui où il donne sa conception de la nature de la femme, et explique que celle-ci est FAITE pour céder aux autres, notamment aux hommes. Rousseau l’établissait de manière explicite ; de nos jours, sans le dire aussi clairement, et sans doute sans même être prêts à l’admettre si on posait la question directement, il semble que bien des gens conçoivent toujours la nature féminine de cette façon-là.

 

Dans le premier billet de cette série, je faisais référence à la remarque d’une femme non musulmane qui porte le hidjab par «solidarité» durant le ramadan, à l’effet qu’elle se fait regarder de travers et que ses collègues de classe l’évitent. Selon moi, c’est une réaction à laquelle il faut s’attendre : on s’y attendrait si quelqu’un faisait l’expérience de porter un signe raciste ou homophobe pour «voir ce que ça fait», j’espère bien qu’il en est de même pour un signe sexiste! Mais il y a toujours des bonnes raisons, des bons prétextes, pour reprocher aux femmes qui s’insurgent contre le sexisme, de le faire.

 

J’entends d’ici les objections classiques : « Tu peux bien le voir comme un signe sexiste, mais les femmes qui le portent le ne voient pas comme ça. » Amusant que cette objection vienne souvent de gens qui affirment que le drapeau du sud des États-Unis, les logos de la Meute, de Storm Alliance, des Soldats d’Odin, sont des signes racistes. Je suis à peu près convaincue que si on leur disait : « Tu sais, les gens qui portent ces signes ne les considèrent pas nécessairement comme des signes racistes ; si tu leur demandes s’ils sont racistes, ils vont probablement te dire que non. », ils balaieraient cette remarque du revers de la main en disant que les racistes n’admettent jamais qu’ils sont racistes. Et s’il en allait de même pour les gens sexistes ?

 

Et oui, une femme peut parfaitement être sexiste. Ce qui m’amène à parler de deux autres objections classiques :

-       C’est à ces femmes de se libérer de cette pratique si elles considèrent qu’elles sont opprimées, ce n’est pas ton combat, tu n’es pas musulmane/tu es blanche.

-       Si c’est un signe sexiste, ces femmes sont sexistes seulement envers elles-mêmes, elles ne cherchent pas à t’imposer le voile.

Passons sur le fait que les femmes de culture musulmane qui s’opposent activement au voile (on peut penser à Djemila Benhabib, Fatima Houda-Pepin, Nadia El-Mabrouk, Nabila Ben Youssef, Leila Lesbet, Henda Ayari) sont du coup classées parmi les islamophobes, les «Arabes de service», les «Blanches par blanchité». Même celles qui ont dû lutter pour se défaire de l’obligation de le porter sont sommées de « respecter les choix vestimentaires et religieux des autres » quand elles osent parler des pressions qui existent pour imposer le voile aux filles et aux femmes.

 

Toutes les femmes, toutes les personnes en fait, qui se voient exposées à un signe sexiste quand elles vont chercher un service de l’État, qui voient leurs enfants exposés à un signe sexiste à la garderie et à l’école, ont une légitimité pour réagir.  Tous ceux qui sont exposés à un signe peuvent réagir. Seul quelqu’un qui voient les musulmans comme « eux autres » et les non musulmans comme « nous autres » peut considérer que le voile ne concerne que les musulmanes, surtout dans un contexte comme le nôtre, où musulmans et non musulmans sont appelés à se côtoyer.

 

Et non, ce signe n’est pas sexiste uniquement envers celles qui le portent. Il véhicule un message sur TOUTES les femmes. C’est précisément le propre d’un signe d’exprimer quelque chose qui est compris par les gens qui le voient. J’ignore selon quel raisonnement tant de gens considèrent que, puisque la porteuse fait elle-même partie du groupe rabaissé par ce signe, cela fait en sorte qu’il ne concerne qu’elle-même.

 

Faut-il faire une différence entre celles qui le portent volontairement et celles qui se le font imposer ? Bien sûr : celle qui se le font imposer sont victimes de sexisme. Celles qui le portent volontairement sont à la fois des victimes du sexisme – elles ont intégré celui-ci – et des adversaires du féminisme. « Alors tu te dis féministe, mais tu veux empêcher les femmes de faire leurs propres choix ? » me dira-t-on. D’abord, ça dépend de ce qu’on entend par là : je ne crois pas qu’interdire aux femmes de porter un voile soit une solution légitime. Cependant, ce n’est pas parce qu’un choix est le fait d’une femme que c’est un choix féministe ; ça pourrait très bien être un choix sexiste. Le cas échéant, il est dans l’ordre des choses que les féministes s’opposent à ce choix et cherchent à décourager les femmes de le faire.

 

« Mais tu exclus des femmes, alors !!! » De quoi est-ce que je les exclus ? Les défenseurs du voile, ou de la « liberté de choix », semblent parler des femmes voilées comme si elles étaient par essence des femmes voilées. Les féministes comme moi s’opposent à une pratique et à un signe, et non à des femmes. Une pratique, ça s’adopte, un signe, on commence à l’afficher à un moment donné. Une pratique, ça s’abandonne, un signe, ça s’enlève. Quelle que soit l’importance qu’une femme accorde à son voile, elle n’en est pas indissociable, d’autant plus que ce n’est pas le seul aspect de sa vie.

 

En effet, l’opposition au voile ne signifie absolument pas que nous ne reconnaissons pas les droits de celles qui le portent, ou que nous les détestons. Si une femme qui porte le voile revendiquait de ne pas être discriminée au logement, ou portait plainte parce qu’elle se fait harceler[1], ou se joignait à un syndicat pour demander des meilleures conditions de travail, je lui donnerais raison sur ces éléments-là, et qu’elle soit voilée n’y changerait rien. Encore une fois, nous sommes contre un signe et contre une pratique, pas contre des êtres humains.

 

Pour conclure, certains me demanderaient sans doute quelles sont les preuves que le voile est un signe sexiste. Cela a amplement été montré, et à ma connaissance, jamais contredit (ceux qui prétendent donner des significations alternatives au voile apportent simplement des éléments de plus tels que « elles le font pour Dieu », « elles pratiquent leur religion », « c’est un geste d’appartenance culturelle », or rien de cela n’empêche ce signe d’être sexiste : Dieu est un personnage sexiste dans les trois religions abrahamiques, les religions sont sexistes, et quelque chose peut être à la fois culturel et sexiste). Je donnerai simplement un lien pour un billet que j’ai écrit auparavant, mais je vous invite à simplement faire vos recherches si vous ne savez pas pourquoi le voile doit être considéré comme sexiste.


Conclusion de la conclusion : pour confirmer à nouveau que c'est toujours aux femmes de céder, on remarquera que cette invitation à porter le voile pour montrer son ouverture ne peut être faite qu'aux femmes.



[1] Exprimer son opposition au voile islamique et donner les arguments pour s’y opposer ne représente pas une forme de harcèlement. Les femmes voilées qui font le choix de défendre le voile par une prise de parole publique, en participant à un débat public, doivent accepter de se faire répondre.



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