La laïcité : un prétexte pour camoufler le rejet des musulmans? (partie 3)

Par: Annie-Ève Collin

Dans la première partie de cette série de billets, je faisais valoir que ce n'est pas parce que le voile islamique suscite davantage de discussions que les autres signes religieux qu'on peut affirmer sans gêne que ceux qui prétendent appuyer la laïcité appuient en réalité l'islamophobie. Dans la deuxième partie, je faisais valoir que ce n'est pas parce que, concrètement, il y a davantage de musulmanes que de juifs, sikhs, chrétiens et autres qui portent un signe religieux tout en étant des fonctionnaires en position d'autorité, qu'on peut en conclure que la laïcité est pensée, à la base, pour défavoriser les musulmans et qu'elle est en soi inéquitable. 

J'ajoute que l'on pourrait voir ça dans l'autre sens : plutôt que de tenir pour acquis que la laïcité est faite à la base pour défavoriser l'islam, on pourrait envisager la possibilité que ce soit l'islam qui est moins compatible avec la laïcité que d'autres religions. 

Peut-être que cette religion est à la base moins compatible que d'autres avec la laïcité. Peut-être  aussi qu'elle n'est pas incompatible avec la laïcité dans ses fondement mêmes, mais qu'elle l'est selon une interprétation répandue. Je préfère ne pas me prononcer là-dessus ici. Seulement, il faut reconnaître qu'un certain nombre de musulmans ont une conception de leur religion selon laquelle celle-ci doit imprégner constamment leur vie, leur attitude, leur habillement, et quiconque a une telle conception de sa religion, est effectivement inapte à occuper un poste de représentant d'un État laïc. Islam ou pas, il faut au moins envisager la possibilité que le problème soit que certaines religions, ou certaines conceptions de celles-ci, soient incompatibles avec la laïcité, et non que la laïcité soit faite dans le but inavoué de s'en prendre à des groupes précis.

Malgré tout, on ne peut pas nier que l'islam est souvent au coeur des discussions, que ce soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux. On ne peut pas nier non plus que le voile semble déranger beaucoup plus de gens que les croix chrétiennes, les kippas juives, les turbans sikhs. Il est vrai aussi que bien des gens se réjouissent de l'éventualité de la laïcité parce qu'ils ne veulent pas que leurs enfants soient pris en charge par quelqu'un qui porte un voile islamique devant eux. Encore là, on ne peut pas en conclure que la laïcité est purement et simplement pensée dans cet objectif.

Il ne faut pas oublier qu'historiquement, ce sont les signes catholiques qu'on a exclus des écoles. La laïcité existe en France depuis le 20e siècle. Elle s'installe au Québec depuis la révolution tranquille. Ceux qui disent que les signes musulmans n'ont pas davantage leur place à l'école que les signes chrétiens, ne font rien pour mériter qu'on leur fasse un procès d'intention en les accusant de cacher une malsaine xénophobie derrière une prétention de défendre la laïcité.

Il est bien possible (en fait cela me paraît même évident) que bien des gens ont une aversion particulière pour l'islam. Et alors ? Il faudrait s'empêcher de réaliser la laïcité à cause de cela ? Les citoyens ont parfaitement le droit de s'opposer personnellement à des religions, ils ont le droit d'en juger certaines pires que d'autres. Si la loi que l'on prétend pour la laïcité en venait à refléter de telles opinions, par exemple en interdisant aux fonctionnaires le port de certains signes tout en leur autorisant le port d'autres signes, alors ce serait bel et bien une loi qui vise des groupes en particulier, et ce serait plus une vraie laïcité. Mais aussi longtemps que tous les signes, de toutes les religions, sont interdits de la même façon, le fait que des citoyens soient nombreux à critiquer une religion en particulier n'a rien à y voir.

Je ne peux cependant pas passer sous silence le problème que pose la volonté de la CAQ de garder le crucifix à l'Assemblée nationale. Je suis et j'ai toujours été favorable à ce qu'il soit retiré (et déplacé ailleurs). Il est cependant à noter que les signes catholiques seraient interdits aux fonctionnaires au même titre que les signes des autres religions. Il est exagéré de dire que la laïcité toucherait tous les croyants sauf les catholiques. 

En fait, ceux qu'elle toucherait, ce sont ceux qui tiennent absolument à porter un signe religieux en tout lieu et qui veulent en plus être des fonctionnaires en position d'autorité. Tous les métiers exigent de respecter certaines contraintes. Ce n'est pas nouveau et c'est parfaitement justifié. Comme je le faisais valoir dans la deuxième partie de cette série de billets, n'importe quelle loi ou règle est plus contraignante pour certains individus que pour d'autres ; n'importe quelle interdiction dérange davantage ceux qui voudraient bien faire ce qui est interdit, que ceux qui ne veulent pas le faire de toute façon. Ce n'est pas une raison pour s'abstenir d'établir des règles.

Ajoutons que le crucifix à l'Assemblée nationale est assez rarement vu par le citoyen moyen. À l'opposé, un signe porté par un enseignant ou une enseignante est constamment dans le champ de vision des élèves, en plus d'être porté, et de ce fait visiblement endossé, par la personne en position d'autorité. Bien que je sois sensible à l'argument à l'effet qu'un crucifix affiché derrière le président des assemblées où les lois sont votées, entre en contradiction de manière flagrante avec le principe de la laïcité, son impact concret est nettement moindre qu'un signe religieux porté par une personne en position d'autorité que l'on a devant soi et avec qui on doit interagir.



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