Les principales intéressées?

Par: Annie-Ève Collin

Quand on se prononce contre le voile, que ce soit en formulant des objections morales à son encontre ou en appuyant son interdiction contextuelle (en même temps que les autres signes religieux dans la fonction publique, ou encore dans d'autres contextes parce qu'il est un signe discriminatoire), on est à peu près certain de se faire dire qu'on devrait commencer par en parler avec les principales intéressées. Et par "les principales intéressées", on veut dire les femmes voilées.


Je laisserai de côté qu'on a amplement laissé la chance à des femmes voilées de prendre la parole ou d'écrire sur le sujet. Ce n'est pas parce qu'on a écouté ce qu'elles avaient à dire qu'on est obligés de se ranger de leur avis. Je veux surtout faire valoir dans ce billet qu'elles ne sont PAS les principales intéressées. Le port d'un signe ne concerne pas seulement la personne qui le porte, il concerne tout autant ceux qui le voient et qui reçoivent le message qu'il véhicule.

Porter le voile, c'est appuyer une idéologie qui établit des rapports clairement définis et inégalitaires entre les sexes. Cette idéologie intéresse toutes les femmes, pas seulement celles qui y adhèrent, parce que toutes les femmes sont perdantes à ce que des gens adhèrent à une telle idéologie, celles qui la rejettent tout autant que celles qui y adhèrent.

Porter le voile volontairement, c'est avoir intégré qu'on doit se couvrir jusqu'à un certain degré pour signifier qu'on n'est pas offerte aux hommes, ce qui implique que celles qui ne se couvrent pas, elles, s'offrent aux hommes ; le porter parce qu'on nous y oblige par pression familiale ou sociale, c'est se faire imposer cette conception. Les femmes non voilées sont tout aussi intéressées par ce message que les femmes voilées ; ce message a un impact sur elles. L'impact sur les musulmanes qui ne portent pas le voile est souvent d'autant plus grand : dans les communautés où le voile se répand, elles sont étiquetées comme des mauvaises musulmanes, des fausses musulmanes, des femmes qui manquent de pudeur, etc. On ne peut pas interdire le port du voile, mais on peut tout à fait réagir à ce qu'il représente : ça nous regarde tous et toutes.

En ce qui concerne la laïcité, il n'y a pas de raison que l'avis des femmes qui portent un voile jouisse d'une priorité quelconque : la laïcité s'établit pour tous, avec les mêmes règles pour tous. En quoi ceux qui refusent de se conformer aux règles de la laïcité auraient-ils un avis plus valable sur celle-ci?




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