Récupération

Par: Yann Personne

C’est arrivé encore, comme trop souvent maintenant, partout. 
Cette fois-ci en Nouvelle-Zélande.  Un crime insensé : un être à la base humain, qui comme tous les humains a un cerveau qui dysfonctionne au quotidien, mais qui ici perd tout sens de sa propre humanité.  Comme de celle des autres.  Et si vous voulez savoir mon opinion sur le criminel, qui a réussi à se "live-streamer" en direct et en continu durant son acte.  Si je le dis en un mot : crève.  En une phrase : je suis contre la peine de mort, mais si demain j’entendais aux nouvelles qu’ils l’ont réinstaurée pour lui, même par principe je ne perdrai pas une once d’énergie à me soucier de son sort en particulier.  Voilà qui est dit.

 

Mais voilà qu’arrive aussi, obligatoirement, la récupération identitaire et politique du drame.  Récupération à chaque fois plus immédiate médiatiquement.  Que ce soit à partir de nos fils de discussion, dans les appels à l’action de politiciens locaux et internationaux ou dans les éditoriaux à répétition.  Soudainement, partout des tendances, des allégeances et des postures identitaires se manifestent et se confirment.

En somme, le choc et le cataclysme social d’un tel meurtre de masse agit comme un barrage d’électrons lancé dans un accélérateur vers une collision certaine.  Du choc surgit un beurrage de l’opinion publique dont les souillures nous donnent énormément d’information.  Que ce soit sur la nature des entrepreneurs identitaires et des acteurs politiques qui participent à l’effort de réaction, comme sur les dynamiques des milieux dans lesquels ils ont germé.

 

D’emblée, la question que tout le monde pose est bien sûr : «pourquoi?» 
Comment expliquer une telle folie et une telle haine?  Désolé, mais je m’abstiendrai ici de spéculer sur la réponse.  Je n’en ai pas la science, contrairement à beaucoup il paraît.  Je n’observe alors que les réactions qui se dépêchent à remplir le vide laissé par la question.

 

À droite d’abord.  Je ne sais que d’emblée que dans une population de millions d’habitants comme le Québec, je n’aurai pas à chercher bien loin pour trouver du racisme et même des réactions de jubilation face à cette tuerie ou à toute autre : par dizaines, voire par centaines.  (Ça ne ferait certainement pas de moi un brillant enquêteur en tout cas…)  Il grouille et grenouille partout des individus perdus, dont les ressources personnelles ne sont pas suffisantes pour leur permettre un réel essor au dehors de la mare d’où ils proviennent.  Sauf que justement, parfois on peut leur donner le sursaut. 

Je sais aussi et surtout que l’opinion raciste est historiquement en déclin, et même démographiquement insignifiante, ici et aujourd’hui.  Je n’en minimise pas l’existence ceci dit, ni les effets.  Sauf que je sais que nous la voyons venir et que nous savons par expérience qu’elle n’est que confusion idéologique et identitaire.  Nous en connaissons les cordes trop bien, ce qui fait qu’elle est à chaque fois dénoncée et contrée, de manière très vigoureuse.  Et c’est très bien.  On ne peut pas négliger cet aspect de nous.

 

Mais pour revenir à la Nouvelle-Zélande et à ses répercussions jusqu’ici au Québec.  Sur le champ gauche maintenant.  À l’opposé d’une poignée de jubilants d’extrême droite, les acteurs prosélytes de l’islamisme qui sévissent nichés dans le giron de l’extrême gauche occidentale, ceux-là condamnent bien sûr l’attentat de Nouvelle-Zélande.  Puis de manière prévisible, ils renchérissent en accusant les médias occidentaux, la laïcité et toute critique de l’islam d’être responsables…  Bref, l’«Occident»

Et le tireur?...

 


Désolé du coq-à-l’âne, mais honnêtement ça me rappelle à chaque fois la Birmanie.

J’ai vécu juste à côté dans les années 90.  Pendant toutes ces années de moiteur, j’ai suivi la répression de la junte gouvernementale birmane contre toutes les minorités ethniques du pays qui osaient revendiquer quelque autonomie politique.  C’était d’une saleté et d’une atrocité!  Des campagnes militaires où on brûlait les gens vivants et où les enfants réfugiés se voyaient vendus en esclavage sexuel vers les pays voisins comme seule chance de survie. 

Toutes les minorité ethniques montagnardes du pays étaient visées par la répression à cette époque.  Et à ce que je sache, ça a été le cas tout au long des années 2000 jusqu’à aujourd’hui. 

À l’époque où j’y étais, une minorité en particulier incarnait le combat et la résilience contre la dictature militaire de la junte birmane.  La seule minorité dont on parlait nommément dans les journaux de la région.  Il s’agissait des Karens : animistes, bouddhistes et certains chrétiens.  Ils ont mené un combat féroce contre la junte au pouvoir et ont connu une répression militaire sévère.

 

Pourtant, je n’ai encore jamais vu ou lu quoi que ce soit à propos d’eux depuis que je suis revenu vivre ici.  Par ailleurs, je n’ai même jamais entendu un son de criquet à propos d’aucune autre minorité birmane persécutée depuis toutes ces décennies.  Les Môns, les Kachins, les Chans, etc. 
Euh qui?

La seule instance, dans la très longue liste d’atrocités envers ses minorités de la part du gouvernement birman que je connaisse, la seule qui semble avoir ému quiconque ici est la cause des Rohingyas musulmans.  Cause relayée à la base par de nombreux pays islamiques à l’Onu.  Mais surtout apparemment : «la cause» qui donne enfin une occasion de dire : « Ah ha!  Vous voyez bien que les musulmans sont fondamentalement persécutés! »

Parce que sinon, je ne vois pas comment interpréter autrement le silence concernant toutes ces ethnies persécutées, a contrario de ce soudain engouement pour la cause Rohingya.  Il y a quelque chose qui cloche.

 

Tout comme il y a quelque chose qui cloche dans ces appels à voir dans le massacre de la Nouvelle-Zélande une xénophobie islamophobe ambiante, voire systémique au Québec et dans toute la sphère occidentale.  Bien plus de massacres ont été commis au nom de l’islam que contre des musulmans dans toutes les statistiques disponibles depuis qu’on en parle.  Nous savons tous par ailleurs, ou alors l’information est facilement disponible, que les chrétiens puis les juifs forment les groupes les plus affectés par les crimes haineux, puis les noirs et les homosexuels comme minorités dans le monde : tous devant les musulmans.  Pourtant, on nous présente l’attentat de Nouvelle-Zélande comme la pire atrocité à survenir depuis l’invention de l’être humain.  Pendant ce temps, ce sont par milliers que des chrétiens meurent annuellement dans des explosions et autres attentats partout à travers le monde musulman, dans le silence.

 

Il ne s’agit pas ici de dire qu’un massacre est plus ou moins grave que l’autre.  Aucune vie humaine ne devrait jamais être sacrifiée au nom de quelque idéologie, et encore moins quelque religion.  Dans la pire horreur, jamais nous ne devrions accepter qu’un seul enfant soit tué au nom de l’idéologie de ses parents.  Jamais.

Néanmoins, Il y a quelque chose là-dedans qui cloche.  Quelque chose qui relève des Rohingyas dans les médias.  Leur sort est sans pareil horrible, il suffit d’en avoir vu quelques images pour s’en convaincre.  De même, un massacre comme celui qui vient d’avoir lieu en Nouvelle-Zélande est également répugnant.  Mais c’est dans la réaction et l’exposition des deux évènements qu’on peut analyser ce qui se trame pour le monde à venir. 

 

L’indignation et la compassion sont des sentiments universels, mais qui trahissent un biais idéologique lorsqu’ils se démontrent être à géométrie variable.  L’apitoiement sur le sort des uns ou unes, puis le silence sur les autres, est la pire forme de violence.  Même si absolument tout le monde en est coupable : être sélectif est un prérequis à être humain, à avoir une intelligence.  Sauf que parfois, ça nous rend plus manichéens qu’humains.

Au final, les faits seront toujours les faits.  Mais ce sera toujours dans l’acte de sélection des faits qu’on pourra continuer de comprendre l’intention de ceux qui les brandissent sous forme de fanions et d’étendards.



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