Mon grain de sel sur la grossophobie (ou Confidences d'une fille un peu grosse)

Par: Annie-Ève Collin

La société est dictatoriale. On nous catégorise, on nous impose une identité en fonction de catégories socialement imposées. Chaque personne n’est-elle pas libre? Chacun devrait pouvoir forger lui-même son identité, selon des catégories qu’il invente lui-même. Non en fait! Après tout, pourquoi faire des catégories?
Je ne m’identifie pas comme une personne grosse. Je ne me sens pas comme une personne grosse. Ce n’est pas mon choix. Mais la société m’impose cette identité.
Extrême maigreur, maigreur, minceur, embonpoint, obésité, obésité morbide...ces constructions sociales qui nous réduisent contre notre volonté à faire partie d’une catégorie qui nous définit aux yeux des autres, qui nous stéréotype, indépendamment de nos particularités, de nos rêves, de nos sentiments...
Ceux dont le poids est en adéquation avec leur identité ne réalisent généralement pas à quel point ils sont privilégiés. Les minces n’ont pas conscience de ce que vivent les personnes poidisées.
Qu’est-ce qu’une personne poidisée? Une personne qui se fait stéréotyper à cause de son poids, que l’on identifie à son poids plutôt qu’à ce qu’elle est!
Je suis régulièrement victime de microagressions. Dans les boutiques de vêtements, les vendeurs et vendeuses me renvoient à l’identité que la société m’a imposée en m’indiquant le rayon des tailles fortes, ou en me proposant de m’apporter un vêtement de taille 14 ou 16...sans parler des entraîneurs au gym qui me disent d’éviter tel ou tel exercice parce qu’il peut être dangereux quand on a un surplus de poids...Ils font leur travail, dites-vous? Je n’ai pas besoin de leur opinion de mince privilégié!
Sans parler de ceux qui demandent si les maux de dos que j’ai assez souvent ont un lien avec mon poids. Quoi? Quel poids? Est-ce pertinent d’en parler? Ne pensent-ils pas au risque de contrarier ou peiner l’Autre en le réduisant à son poids?
Et d’ailleurs, quand on n’est pas soi-même poidisé, on devrait éviter de parler de ce par quoi on n’est pas concerné! Les poidisés sont les mieux placés pour parler de ce qu’ils vivent!
Passons maintenant à ces hommes qui croient me faire des compliments alors qu’ils ne font que me réduire à un objet en ne voyant en moi qu’une toutoune, une représentante de la catégorie des toutounes, et non une femme unique! Ces hommes qui aiment particulièrement les rondeurs, qui soulignent les miennes avec des phrases telles que : “J’aime les bonnes grosses fesses comme les tiennes.”, “Je n’aime pas les filles trop minces.”, etc. Ils croient me flatter, mais ils ne font que me réduire à ma catégorie de poids!
Qui sont ces gens pour m’imposer une identité de grosse?
Qui sont-ils? Des personnes dotées de la capacité de voir, qui voient bien que je suis grosse.
Les catégories de poids sont des constructions sociales? Eh bien en partie, j’imagine, parce que tout ce qui est exprimé par le langage devient une catégorie, et que je sache, il n’existe pas de langage qui soit produit par autre chose qu’une société humaine. En effet, le langage, ce n’est que ça : des catégories que l’être humain impose au réel afin de le rendre intelligible. Ces catégories sont exprimées par des sons, par des signes visuels, plus rarement par des gestes (notamment pour le langage utilisé par les sourds et muets). Grâce à ces sons, à ces signes visuels et à ces gestes, on peut communiquer d’une manière particulièrement efficace, car on peut communiquer sur des sujets sans lien avec notre environnement immédiat. Par exemple, vous pouvez vous figurer à quoi réfère le passage sur les boutiques de vêtements dans le présent texte, sans être dans la boutique où je suis en train de magasiner. Si le langage demeure toujours imparfait, qu’il ne parvient jamais à rendre compte de la totalité du réel, il faut tout de même avouer qu’il nous est bien utile.
Et s’il y a sans contredit une part de construction sociale dans le langage, il ne faudrait pas perdre de vue qu’il sert bel et bien à rendre intelligible le réel, qui lui n’est pas une construction sociale. Le langage renvoie à des choses qui ne dépendent ni de la société, ni de l’individu. Que ça me plaise ou non, mon poids a une incidence sur les vêtements que je peux porter : je peux rêver de porter la taille 5, mais la réalité, c’est que mon corps n’entre pas dans un vêtement de taille 5.
Bon d’accord, les tailles 1, 5, 14, 22, ce sont des conventions sociales. Devrait-on arrêter d’écrire ces chiffres indiquant la taille des vêtements pour ne pas blesser celles qui sont complexées par leur poids? Bien sûûûûr! Ce sera beaucoup beaucoup plus long de magasiner pour des vêtements, car il faudra regarder les vêtements un par un, plutôt que de regarder rapidement les étiquettes, et même en essayer plusieurs, pour lesquels il ne sera pas facile de voir s’ils sont d’une taille plus grande ou plus petite que celui que l’on vient d’essayer, mais le principal, c’est de ne pas rappeler leur poids aux gens complexés!
Pour ceux qui ne l’auraient pas saisi : je suis ironique...
Mon poids a aussi une incidence sur les activités physiques que je peux exercer sans danger et sur autre chose. Que ça me plaise ou non, les gens dotés du sens de la vue voient la différence entre une personne mince et une personne qui ne l’est pas, et s’ils sont dans une situation où il est pertinent de tenir compte du poids des gens, ils vont en parler. Non, ce n’est pas parce que quelqu’un est gros qu’il vaut moins. Mais le poids demeure une réalité!
C’est la même chose pour la couleur de peau et l’origine ethnique, pour le sexe, pour l’orientation sexuelle. Ce ne sont pas simplement des constructions sociales. Ce sont des catégories langagières certes, mais qui réfèrent à des différences RÉELLES entre les personnes. Que la réalité ne plaise pas toujours à tout le monde, je peux le comprendre. Que l’on s’attende à une certaine politesse, à une certaine considération de la part des gens, en s’attendant notamment à ce qu’ils n’insistent pas inutilement sur des éléments de la réalité qui nous blessent, cela se comprend.
Mais n’y a-t-il pas une tendance, dans certains discours, à aller jusqu’à vouloir imposer aux gens d’ignorer carrément la réalité? Et même de la nier.
En référence à la publicité pour Maxi avec Martin Matte, qui a été retirée : oui, le fait de trop manger a un lien causal avec le surplus de poids. Faire de ce fait un tabou n'avantagera personne, pas plus que de faire un tabou du fait qu'un important surplus de poids entraîne des risques pour la santé.
Qu'un humain soit gros ne change rien à sa dignité d'humain. Et rien de ce que j'ai écrit précédemment ne suggère le contraire.



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