Qui ose désavouer publiquement la doxa
politiquement correcte va subir un processus de diabolisation. Cela vaut autant
pour les intellectuels, les personnalités publiques du monde politique et de la
sphère artistique que pour les usagers sur les réseaux sociaux. Les uns vont se
faire comparer à Hitler, les autres traiter de "haineux", "raciste",
"fasciste", etc. Qui heurte la sensibilité des
"bien-pensants" serait moralement abjecte et mériterait de se faire pointer
du doigt, honnir et détester. À force d'être répétée, l'accusation [par exemple: de "raciste"], finit par coller sans preuve à l'appui. Les
"bien-pensants" l'admettent comme factuelle sans la moindre remise en question - d'autant
plus si ça conforte un narratif ou une impression qu'ils aiment.
Le procédé permet d'éviter un débat sur le fond.
D'abord, parce qu'en raison d'un tel discrédit, une personne diabolisée risque
l'exclusion, du moins partielle, du débat public [par exemple: avec un
bannissement des réseaux sociaux]. Et plus efficacement, parce que la
diabolisation constitue un argumentum ad personam, qui va occulter les réelles
déclarations et positions en cause. L'ensemble des propos d'une personne
diabolisée peut ainsi se faire réfuter à coups d'accusations insultantes, sans
même qu'il soit rapporté.
Qui diabolise qui? Ce ne sont pas les conservateurs
qui diabolisent leurs adversaires idéologiques et qui mènent une campagne de
censure et d'intimidation [telle que la "cancel culture"]. La charge
est menée par des SJW ["guerriers de la justice sociale"], les
tenants d'un néo-progressisme qui sont souvent étiquetés de "gauche
radicale". Certes, des personnages controversés affiliés au
néo-progressisme peuvent se faire ridiculiser, et même mépriser, mais elles ne
deviennent pas pour autant le "mal incarné". Elles ne sont pas
honnies en raison de leurs opinions.
Le système médiatique [incluant les médias sociaux]
est à la fois l'arbitre et le metteur en scène du discours public. Il n'est pas
seulement soumis à la rectitude politique, il la promeut et l'impose. Mes
détracteurs affirmeront qu'on peut y entendre un discours critique à l'endroit
des éléments les plus radicaux du progressisme intersectionnel. Certes, mais ils
ne seront pas interdits à coups d'accusations d'amoralité. Force est de
reconnaître qu'on n'accorde pas la même indulgence aux individus qui se
trouvent de l'autre côté. La "cancel culture" est un phénomène à sens
unique.
Certaines personnes parviennent à maintenir leur
présence dans l'espace public malgré la diabolisation qu'ils subissent. Cela
varie selon les sociétés et selon la sévérité de leurs
"transgressions". Il y a ceux qui subsistent parce qu'ils
n'outrepassent pas les limites d'une certaine acceptabilité. Parce que là où
s'opposer à l'immigration illégale passe encore, souhaiter l'assimilation des
nouveaux arrivants à la culture de souche risque de ne pas passer. Le soutien à
un courant populiste de droite semble généralement être la ligne à ne pas
franchir.
Même si certaines personnalités dénigrées
maintiennent une présence dans le système médiatique et sur la scène politique,
une diabolisation par contagion ruisselle sur leurs sympathisants, à qui on
tente d'infliger un sentiment de honte et de culpabilité. La diabolisation
entraîne le sophisme par association: "Si vous appuyez Marine Le Pen, vous
êtes un facho et je ne perdrai pas mon temps à écouter vos arguments".
Pour subir cette diabolisation, il suffit d'avoir
des vues considérées trop conservatrices par la police de la pensée
néo-progressiste. Les victimes de cette méthode comptent ainsi une grande
proportion de personnes à sensibilité plutôt conservatrice, mais aussi nombre
de progressistes autoproclamés, qui paient également les frais de cette
diabolisation.
Un exemple: la romancière J.K. Rowling est
récemment devenue la cible des activistes trans parce qu'elle a affirmé que les
personnes qui ont des menstruations sont des femmes, une position qui heurte la
sensibilité des tenants de la théorie du genre. On lui applique depuis
l'étiquette de "haineuse" - sans s'imposer le devoir de rapporter ses propos.
Comment réagit-on face aux campagnes de
diabolisation? Il y a un facteur "directionnel". On va être enclin à
défendre les personnes qui en sont victimes pour autant qu'elles ne se situent
pas outre mesure à notre droite sur l'axe sociétal. Ainsi, on entendra plus de
progressistes centristes décrier la diabolisation de J.K. Rowling que celle que
subit Marine Le Pen. Il y a une nuance essentielle à saisir ici: il ne serait
pas question d'appuyer le discours de Marine Le Pen, mais de dénoncer la
diabolisation qu'elle subit. Il est possible de dénoncer la campagne de
diabolisation que subit un individu tout en s'opposant à ses idées.
Composante majeure du problème: une tendance à
réagir à la diabolisation en fonction du positionnement politique de la
personne qui la subit par rapport au nôtre - plutôt qu'en s'attaquant à la
tactique. Il arrive d'entendre quelqu'un dénoncer la diabolisation que subit
une telle personne tout en perpétuant parallèlement la diabolisation de telle
autre personne, parce que celle-ci serait, selon eux, réellement
"homophobe", "transphobe', "islamophobe", "raciste", "fasciste",
"complotiste" etc. Pourtant, de prendre la défense d'une personne
relativement à sa diabolisation, soit en défendant son intégrité ou sa liberté
d'expression, n'équivaut pas à endosser les propos de cette personne, mais
plutôt de défendre son droit de les exprimer.
Question de solidarité, il serait préférable de
déraciner la diabolisation en amont. Si on invalide le dénigrement d'une
personnalité influente, on supprime aussi toutes les diabolisations par
association qui en découlent en aval. Ceux qui cautionnent la diabolisation des
individus qui se situent "à leur droite" pourraient être les
prochains à se faire ostraciser par des militants sur leur gauche.
Ce qu'il faudrait honnir, c'est la diabolisation en
tant que tactique. Parce que ce procédé diffamatoire s'inscrit dans un courant
autoritariste qui ne tolère pas la diversité d'opinion: le progressisme
intersectionnel [aboutissement politiquement correct].