Dimanche prochain, le 12
novembre, des manifestants se rencontreront à la place Émilie-Gamelin, pour
manifester contre l’extrême-droite et contre le racisme. Du moins, du point de
vue des manifestants…j’estime qu’ils vont plutôt manifester contre des
fantômes. Non pas que le racisme n’existe pas, bien sûr qu’il existe, et je ne
peux pas nier qu’il existe au Québec, d’autant plus que j’en ai moi-même déjà
été témoin. Je ne peux pas nier non plus l’existence de Québécois qui appuient
l’extrême-droite, puisque j’en ai déjà rencontré ou entendu en entrevue. J’ai
cependant des doutes sur la campagne de peur qui voudrait nous faire croire que
notre société est pétrie de haine, d’intolérance, de racisme et de discours d’extrême-droite.
Je doute que l’extrême-droite ait beaucoup d’influence au Québec. Pour appuyer
mon point de vue, je ferai ici la critique d’un pamphlet qui est notamment
distribué dans les cégeps, faisant la promotion de la manifestation du 12
novembre.
Dans ce pamphlet, on peut lire : « Depuis plusieurs années
maintenant, nous assistons à la montée d’un discours raciste et haineux dans
l’espace public québécois. La « charte des valeurs » du Parti québécois en
2013, l’élection de Donald Trump aux États-Unis et la montée des partis populistes
et xénophobes en Europe ont galvanisé le développement d’une
extrême-droite bien de chez nous. Celle-ci se dévoile au grand jour et
multiplie les coups d’éclats et polémiques racistes. Loin de la refroidir,
l’attentat à la mosquée de Québec semble avoir propulsé son discours haineux,
de plus en plus banalisé, dans l’espace public. Les groupuscules xénophobes et
racistes ont depuis multiplié les manifestations, organisé une campagne
victorieuse contre un cimetière musulman à Saint-Apollinaire, diffusé un discours
xénophobe à l’endroit des demandeuses et demandeurs d’asile Haïtien.ne.s (sic), et
ont même réussi à normaliser la peur et l’intolérance dans l’espace public et à
légitimer leurs organisations pourtant fondées sur la haine. Les
politicien.ne.s et chroniqueurs-poubelles ne sont pas en reste dans le
développement de cette ambiance morose. Ils jouent par opportunisme au pyromane
en alimentant les flammes de l’intolérance, tout en ignorant la violence
grandissante de l’extrême-droite québécoise. »
Joli texte.
Les auteurs savent certainement manier la métaphore et écrire des phrases
percutantes. En tant que philosophe terre à terre sans aucune sensibilité à la
poésie – j’ai toujours considéré que le gros défaut des dialogues de Platon est
la façon qu’a ce dernier de les embarrasser d’échanges de compliments et de
fioritures verbales, ce qui détourne l’attention du principal : la logique
des raisonnements du personnage de Socrate – je suis cependant bien placée pour
remarquer le manque de contenu et la fourberie qui se cachent derrière ce texte
qui n’est accrocheur que grâce à son style. Allons-y point par point.
« Depuis plusieurs années
maintenant, nous assistons à la montée d’un discours raciste et haineux dans
l’espace public québécois. [Plusieurs facteurs] ont galvanisé le développement d’une extrême-droite bien de chez
nous. Celle-ci se dévoile au grand jour et multiplie les coups d’éclats et
polémiques racistes. » Quel discours raciste et haineux?
Quel est son contenu? Où l’entend-on? Avouez que « l’espace public »,
c’est un peu vague, c’est comme si vous me demandiez où vous pouvez trouver de
l’information sur un sujet donné et que je vous répondais : « Dans
des livres, dans des revues et sur Internet. » Quels coups d’éclats?
Quelles polémiques racistes? Somme toute, on ne sait pas de quoi parlent les
auteurs de ce texte.
« La « charte des valeurs
» du Parti québécois en 2013, l’élection de Donald Trump aux États-Unis et la
montée des partis populistes et xénophobes en Europe ont galvanisé le
développement d’une extrême-droite bien de chez nous. » Qu’est-ce que c’est que ces amalgames? Le Parti
québécois n’est pas d’extrême-droite, la laïcité non plus, ni même la
catho-laïcité qui était mise de l’avant par le projet de charte du PQ, bien que
je n’endosse pas celle-ci. Même prétendre que le projet du PQ a suscité le
développement de l’extrême-droite est très audacieux, et insultant pour les
membres du Parti québécois, ainsi que pour les électeurs qui votent pour ce
parti (et il ne faudrait pas oublier qu’il y en a vraisemblablement parmi ceux
qui fréquentent le cégep et parmi ceux qui y travaillent). Ce passage du texte
contribue à stigmatiser un groupe de gens en raison de leurs convictions, ce
qui, bien que permis par la liberté d’expression, est problématique, et pas
seulement quand c’est aux musulmans qu’on le fait. Je vois mal en quoi un
péquiste qui s’oppose au racisme, à l’extrême-droite et à la haine devrait se
sentir interpelé par cette manifestation qui diabolise le parti qu’il appuie.
Et quel est le lien entre l’élection de Trump et le Québec? Il faudrait au
moins développer sur le sujet. Quant aux partis populistes et xénophobes en
Europe, non seulement on ne précise pas leur lien avec le Québec, ni ce qu’ils
ont contribué à causer au Québec, mais on ne les nomme même pas. Encore une
fois, on ne sait pas de quoi parlent les auteurs du texte.
« Loin de la refroidir, l’attentat à la
mosquée de Québec semble avoir propulsé son discours haineux, de plus en plus
banalisé, dans l’espace public. » On ne sait toujours pas de quel discours on
parle, et on ne sait pas non plus en quoi l’attentat à la mosquée de Québec –
un épisode déplorable – joue un rôle dans ce discours.
« Les groupuscules xénophobes et racistes
ont depuis multiplié les manifestations, organisé une campagne victorieuse
contre un cimetière musulman à Saint-Apollinaire, diffusé un discours xénophobe
à l’endroit des demandeuses et demandeurs d’asile Haïtien.ne.s (sic), et
ont même réussi à normaliser la peur et l’intolérance dans l’espace public et à
légitimer leurs organisations pourtant fondées sur la haine. » Quels
groupuscules xénophobes et racistes? Quelles manifestations? Les auteurs
sont-ils si gênés de nous laisser savoir de qui et de quoi ils parlent? Ils
nous parlent encore de l’espace public, comme si ça nous permettait de
comprendre. Quant à cette référence au référendum municipal sur le projet de
cimetière musulman à Saint-Apollinaire, pour la troisième fois, on se décide à parler
de quelque chose de précis (ce qui a été fait deux fois auparavant, avec la
charte des valeurs du PQ et avec Trump), mais on néglige à nouveau de préciser
le lien avec une extrême-droite québécoise qui aurait, paraît-il, le vent dans
les voiles. De plus, on cible injustement les résidents de Saint-Apollinaire qui
ont voté non. A-t-on seulement pris la peine de s’informer sur leurs
motivations pour voter ainsi? Il n’est pas légitime de supposer qu’ils l’ont
fait par adhésion à des idées d’extrême-droite ou sous l’influence d’un groupe
d’extrême-droite.
Pour finir,
qui sont les « chroniqueurs-poubelle » qu’on accuse de « [jouer] par opportunisme au pyromane en alimentant
les flammes de l’intolérance, tout en ignorant la violence grandissante de l’extrême-droite
québécoise »? L’expression « chroniqueurs-poubelles » ne suffit
pas à les identifier, d’autant plus que même avec des noms de chroniqueurs,
cette expression nous informe beaucoup plus sur l’opinion que la personne qui l’utilise
a des chroniqueurs, que sur les chroniqueurs eux-mêmes. De mon point de vue,
Manal Drissi et Judith Lussier sont des chroniqueuses-poubelle, mais je doute
que ce soit d’elles que parlent les auteurs. Inversement, imaginons que j’aie
un échange avec les auteurs de ce texte – une hypothèse fort improbable, j’en
conviens, mais amusons-nous – et qu’ils me disent de quels chroniqueurs ils
parlent, peut-être bien que je serais en désaccord avec eux pour les traiter de
chroniqueurs-poubelles. Bref, ça n’apporte rien de savoir que les auteurs du
texte considèrent on ne sait quels chroniqueurs comme des chroniqueurs-poubelle :
on ne sait pas davantage contre quoi on est censé manifester.
En fait, je
soupçonne qu’il s’agit d’une initiative d’une frange de gauche à laquelle je m’oppose
et que je considère qu’il faut combattre, parce qu’elle menace la liberté d’expression
et la démocratie par ses tentatives pour imposer une pensée unique, notamment
en diabolisant les discours différents du sien, en les associant précisément à
l’extrême-droite, à l’intolérance et au racisme. Ce soupçon est renforcé par ce
que l’on retrouve au verso du même pamphlet : « Au
cours des derniers mois, plusieurs groupes ont commencé à s’organiser en
réponse à ce climat qui s’aggrave rapidement. Des contre-manifestations ont été
organisées à plusieurs reprises pour riposter aux rassemblements de
l’extrême-droite. Des contre-discours ont été produits et diffusés afin de
démasquer la haine et le racisme latents de ces organisations. Malheureusement,
l’extrême-droite continue d’avoir le vent dans les voiles.
Malgré cela, nous savons
que nous sommes des milliers de québécois.e.s inquiet.e.s et outré.e.s de cette
situation. Le 12 novembre prochain, appelons toutes les personnes qui
s’opposent au racisme, à la haine et à l’extrême-droite à descendre massivement
dans les rues pour faire entendre notre indignation collective. Prenons la
parole! Prenons la rue! »
On peut constater que la même imprécision est toujours de mise :
on ignore de quels groupes et de quels discours et contre-discours il est
question. On y retrouve aussi le faux dilemme que la frange de gauche dont je
parle veut nous imposer : nous devons être avec eux, sinon, ça veut dire
qu’on ne s’oppose pas au racisme, à la haine et à l’extrême-droite, voire qu’on
endosse tout cela. Je m’oppose au racisme, à la haine et à l’extrême-droite, et
je ne connais ni chroniqueurs, ni militants, ni gens de mon entourage qui ne s’opposent
pas à tout cela. Je suis une personne qui s’oppose au racisme, à la haine et à
l’extrême-droite, mais je ne me sens absolument pas interpelée par ce pamphlet
au discours imprécis, qui cible injustement un parti politique provincial et
les résidents d’une municipalité. Que je refuse d’endosser ce pamphlet et la
manifestation qu’il promeut ne fait pas de moi quelqu’un d’extrême-droite, ni
de haineux, ni de raciste.
La suite du texte continue de renforcer mon soupçon d’avoir
affaire à cette frange de gauche que je qualifierais de régressive, étant donné
ses discours et les mesures qu’elle prend pour diaboliser ceux qui ont des
orientations idéologiques ou des points de vue différents des siens, et parce
qu’elle défend des croyances, des convictions et des façons d’agir qui mènent à
des régressions telles que le retour de l’influence de la religion sur la vie
sociale et même publique et des reculs pour les femmes. En effet, on peut lire
sur le pamphlet : « Opposons-nous
au racisme, au colonialisme, au machisme, à la transphobie et à toutes les
formes de haine véhiculées par l’extrême-droite ». Cette façon de tout amalgamer, de faire comme si
toutes les causes (racisme, colonialisme, sexisme, transphobie) étaient un
combat unique contre un Oppresseur qui serait la source de tous les maux des
sociétés, est typique de l’intersectionalité, un concept endossé par la gauche
régressive.
Je me méfie d’autant plus
de cette manifestation que la frange de gauche qui est apparemment derrière
cette initiative accuse fréquemment sans justification des gens d’être d’extrême-droite,
racistes, haineux, intolérants. Non seulement le font-ils au Parti québécois,
mais ils le font aussi à des personnalités publiques, par exemple Sophie
Durocher, Djemila Benhabib, Mathieu Bock-Côté, Richard Martineau, Lise Ravary.
Ils le font aussi à beaucoup de gens qui ne sont pas connus, entre autres sur
les réseaux sociaux. Ils me l’ont fait plus souvent qu’à mon tour. Il suffit de
s’exprimer contre le voile islamique ou contre une pratique liée à l’islam (la
ségrégation à la mosquée est un autre exemple), ou encore de manifester une
méfiance face à des groupes de musulmans radicaux, pour se faire traiter de
raciste. Comme s’il n’était pas possible de critiquer certains aspects de l’islam
sans être motivé par le racisme. En fait, que je remette en question la
pertinence de la manifestation du 12 novembre (la pertinence et non la
légitimité : le droit de manifester est protégé et ces gens ont le droit
de manifester) pourrait me valoir des accusations de racisme et d’extrême-droite :
pour ces gauchistes (je vous rappelle que c’est une frange de la gauche, et non
pas la gauche), si on n’est pas avec eux, on est raciste, intolérant, haineux
et transphobe. En ce qui concerne la transphobie, précisément, nul besoin d’être
agressif envers les personnes trans ni de les rejeter pour s’en voir accusé. Il
suffit d’affirmer que les êtres humains sont femmes ou hommes en fonction de
leur sexe.
Afin de ne pas faire
moi-même ce que je reproche aux auteurs de ce pamphlet, il convient que je
précise de qui je parle. Je parle notamment :
- de la Fédération des
femmes du Québec (FFQ), qui a adopté le féminisme intersectionnel ; la FFQ
vient justement d’élire un homme à sa présidence (j’ai du mal à imaginer pire recul pour la cause des
femmes que de faire diriger le principal groupe féministe du Québec par un
homme), et qui refuse de reconnaître le sexisme du voile islamique et diabolise
les féministes qui se permettent de dénoncer celui-ci, ainsi que celles qui
dénoncent les problèmes que les mouvements trans et queer peuvent poser pour
les femmes. Des féministes qui blâment les femmes de se soucier des intérêts
des femmes, c’est quand même quelque chose! Il est à noter que la FFQ fait partie
des groupes signataires pour l’initiative de s’unir contre cette extrême-droite
qui semble plus imaginaire que réelle;
- de Québec Inclusif, dont
la présidente s’est récemment permis de refuser un entretien télévisé avec une
féministe membre de l’association Pour les droits des femmes du Québec et
partisane de la laïcité, en prétendant qu’il ne revenait qu’à Québec Inclusif
de se prononcer sur le sujet prévu à l’émission[1] (quand je vous dis qu’on
veut imposer une pensée unique et qu’on menace la liberté d’expression…);
- de ceux qui s’autoproclament
antifascistes, comme le groupe Montréal Antifasciste, et d’ailleurs, dans leur
cas, je ne fais pas que soupçonner leur implication puisque j’ai trouvé le
contenu du pamphlet dont je parle ici sur leur site : https://montreal-antifasciste.info/fr/2017/10/06/12-novembre-grande-manifestation-contre-la-haine-et-le-racisme/;
- de Xavier Camus, blogueur
suivi par des centaines de personnes, qui calomnie régulièrement des gens, qui
prétend apporter des faits en se basant sur des preuves, alors qu’il exprime
plutôt ses perceptions et des conclusions tirées à partir d’indices loin d’être
suffisants. Je suis d’ailleurs bien placée pour savoir qu’il lui arrive d’écrire
des faussetés, puisqu’il en a écrit au sujet d’un colloque auquel je
participais moi-même et que je fais partie des gens qu’il a calomniés
publiquement ;
- de l’Association des
musulmans et des arabes pour la laïcité au Québec (AMAL-Québec), un groupe dont
le nom est une imposture, car il ne défend aucunement la laïcité et cherche à
empêcher toute critique de l’islam ou de pratiques liées à l’islam ;
- d’individus que je lis
sur Facebook, mais pour eux, je reconnais ne pas avoir de liste précise.
Bref, je suis contre la
haine, contre le racisme, contre l’extrême-droite, contre la transphobie,
contre le sexisme, mais je n’appuierai pas la manifestation du 12 novembre.