Le Big Other ou la dictature de l’Autre

Par: Claude Simard

L’Autre avec la majuscule, voilà un terme clé de la novlangue d’aujourd’hui chargé d’implicites manipulateurs !

Dans la langue courante, le mot autre appliqué à des humains fait simplement référence à une personne différente de soi sans plus de précision, et il équivaut à autrui. Au cours des dernières années, la novlangue de la bien-pensance a altéré ce sens général en attachant la locution l’Autre à la désignation de « toute personne ou tout groupe appartenant à une culture différente » et en l’investissant ainsi d’une valeur sociopolitique que le nom autre n’a jamais vraiment eue (cet emploi récent n’est signalé ni dans le Trésor de la langue française informatisé ni dans Le Grand Robert de la langue française). L’expression est associée à ses comparses inséparables ouverture et diversité.

Mais de qui au juste l’Autre est-il différent? L’antagoniste est tout désigné : c’est l’Occidental blanc qui doit lutter constamment contre ses penchants colonisateurs, suprémacistes et ethnocentristes afin de respecter l’Autre et de l’accepter sans réserve, surtout quand celui immigre dans son pays. La conception de l’Autre instillée par la novlangue est en effet intimement reliée au courant de culpabilisation des méchants Occidentaux1 et constitue un des stratagèmes imaginés par la gauche régressive pour imposer la nécessaire rééducation de l’Occident.

Même si sa base sémantique renvoie à l’idée de différence, la locution l’Autre louvoie dans l’indétermination du fait qu’elle incorpore toutes sortes de cultures ou de groupes hétérogènes tels que les Amérindiens, les Noirs, les musulmans, les immigrants, etc. Cet amalgame lui permet de présenter tous ces groupes comme une entité commune à regarder de la même façon sans égard à leurs particularités respectives. Subrepticement, une inversion du jugement s’opère, le critère de base n’étant plus la nature des choses mais leur origine. L’opinion que l’on peut avoir de l’Autre ne doit plus se fonder sur l’analyse de ses croyances ou de ses mœurs en tant que telles, mais elle doit considérer avant tout son appartenance à sa communauté d’origine. L’esprit critique en prend tout un coup.

Dans le discours des bien-pensants, l’Autre est forcément bon et respectable. Il doit être accueilli à bras ouverts, accepté d’emblée et protéger inconditionnellement, car il est faible et souvent en proie à la discrimination et à la persécution. Dans le cercle des opprimés, sa figure a remplacé celle des prolétaires de la classe ouvrière. La moindre velléité de critique à son égard est tout de suite soupçonnée d’émaner de dégoutants réflexes de xénophobie, de racisme et tutti quanti. L’Autre est intouchable. Sa religion peut donner naissance au fanatisme et au terrorisme, sa culture peut admettre des pratiques sexistes barbares comme l’excision ou le crime d’honneur, mais le silence ou la langue de bois sont de rigueur. Obligation est imposée de ne pas dénoncer les errances de l’Autre de peur de le discriminer, de le « raciser », de froisser sa sensibilité en s’opposant à son inestimable différence.

Les dernières décennies ont connu le passage d’un extrême à un autre : jadis, l’étranger était vu comme suspect et inférieur, et il était souvent méprisé, discriminé ; aujourd’hui, l’Autre est idéalisé comme la victime à sauver à tout prix pour expier les méfaits de la ségrégation pratiquée dans le passé.

Les bonnes âmes qui se font entendre dans le discours politique et médiatique imposent de plus en plus une pensée unique à propos de l’Autre dans le contexte de l’immigration. L’altérité, quelle qu’elle soit, donnerait naissance à la richesse de la diversité culturelle, seule apte à régénérer nos sociétés. Aucun des aspects de l’Autre ne pourrait être mis en cause sous peine de sombrer dans le repli identitaire et le nationalisme chauvin.

L’écrivain français Jean Raspail a appelé cette entreprise de propagande Big Other, en référence à l’univers orwellien. Big Other surveille, répand sa parole dominante, anesthésie le bon peuple et le « gave comme une oie de certitudes angéliques » 2 .

Magnifié par la majuscule, vénéré comme la voie du salut, l’Autre est devenu à notre époque une image quasi-religieuse. Saint-Autre a pris la relève du prochain des chrétiens, non pas pour exercer la charité de façon désintéressée, mais pour se donner bonne conscience en se conformant à la doxa ambiante.

____
 

1. Un des premiers auteurs à avoir dénoncé la démonisation de l’Occident par la gauche tiers-mondiste est Pascal Bruckner, Le sanglot de l'homme blanc, Éditions du Seuil, coll. « Histoire immédiate », Paris, 1983.
2. Jean Raspail, Le camp des saints, précédé de Big Other, Paris, Robert Laffont, 1973, réédition 2011, p.24.



SUIVEZ-NOUS SUR FACEBOOK