Hétérosexisme : système discriminatoire présentant l’hétérosexualité comme l’orientation sexuelle normale, voire comme la seule orientation sexuelle valable, reléguant les autres orientations dans la catégorie des minorités, des anomalies, voire des fautes morales.
Cissexisme : système discriminatoire qui tient pour acquis que toutes les femmes sont nées femelles et que tous les hommes sont nés mâles, que toute femelle humaine est une femme et que tout mâle humain est un homme. Le cissexisme impose aux êtres humains de se conformer à des normes de genre comme si elles allaient automatiquement de pair avec leur sexe.
Systèmes discriminatoires, vous dites ? Présenter l’homosexualité, la
transgression des normes de genre, le fait de se travestir ou la dysphorie de
genre comme des fautes morales est certainement un problème. Mais avoir en tête
que la majorité des gens sont plutôt hétérosexuels, que la majorité des femmes
ont beaucoup de traits féminins et que la majorité des hommes ont beaucoup de
traits masculins, c’est complètement différent. Pourquoi vouloir effacer la
notion même de minorité ? Pourquoi vouloir faire disparaître tous les repères
langagiers, les codes sociaux, les repères dont tout être humain a besoin comme
individu, et dont toute société humaine a besoin ? Même ceux qui font partie de
minorités revendiquant leurs différences ont besoin de repères pour se définir,
fut-ce à leur encontre.
Dans son livre Éloge
de la diversité sexuelle, Michel Dorais déplore que l’on utilise le concept
de minorités sexuelles. Selon lui, « il n’y a pas de minorités sexuelles
parce qu’il n’y a pas de majorité sexuelle. C’est une fiction qui sert à
conserver l’hégémonie d’une pensée binaire et fondamentaliste, laquelle divise
le monde en deux : les «vrais» et les (plus ou moins) tarés, version
moderne des bons et des méchants, des purs et des impurs, des normaux et des
anormaux.[1] »
Dorais ne distingue manifestement pas deux types de normes : les normes
éthiques, sur lesquelles on s’appuie effectivement pour distinguer le bien du
mal, les bonnes actions des mauvaises, ceux qui agissent bien de ceux qui
agissent mal ; et les normes statistiques, celles dont on peut prendre
connaissance en sciences sociales. Une norme statistique n’a pas, en soi, d’implications
éthiques.
D’un point de vue statistique, les personnes homosexuelles
sont bel et bien minoritaires. Il est désormais assez largement reconnu que
leur orientation sexuelle n’a rien d’immoral et leurs droits sont protégés
légalement. Sans doute y a-t-il encore du travail à faire sur le plan social,
pour lutter contre une homophobie qui n’a pas entièrement disparu. Cependant,
ils demeurent une minorité de personnes. Tenir pour acquis que la majorité des
personnes que l’on côtoie sont hétérosexuelles est interprété, par ceux qui
emploient le mot « hétérosexisme », comme une manifestation de ce
dernier. Il n’y a rien de répréhensible à tenir pour acquis que la majorité des
gens que l’on côtoie sont hétérosexuels puisque, à moins d’être dans un
contexte particulier qui permette de supposer le contraire (le fait d’être dans
un bar fréquenté surtout par des hommes gais, par exemple), on a généralement
raison de le faire.
Dorais déplore le caractère binaire du vocabulaire :
femme, homme ; féminin, masculin ; homosexuel, hétérosexuel. Eh bien le fait
est qu’il y a deux sexes. Le genre étant conceptuellement lié au sexe, puisqu’il
se définit comme un ensemble d’attitudes socialement attribuées à un sexe ou à
l’autre, il y a deux genres. On peut transgresser les normes de genre. On peut
le faire de façon inconsciente ou indifférente, tout comme on peut le faire
dans un esprit de revendication, et dans les deux cas, ça ne pose aucun
problème sur le plan éthique. Il y a aussi des attitudes qui ne sont considérées
ni comme particulièrement féminines, ni comme particulièrement masculines. Mais
de toute façon, puisqu’il y a deux sexes, logiquement, il y a deux genres. Pour
finir, une relation sexuelle entre deux personnes humaines est très
généralement homosexuelle ou hétérosexuelle : soit elle implique deux
personnes de même sexe, soit elle implique deux personnes de sexe opposé[2]. Si l’une
et l’autre sont tout aussi irréprochables sur le plan éthique, il n’en demeure
pas moins que sur le plan statistique, les relations hétérosexuelles sont plus
fréquentes et il n’y a pas de mal à en avoir conscience.
Dorais commet l’erreur, assez fréquente de nos jours, de
concevoir l’être humain comme un être indéterminé, comme si nous ne venions pas
au monde à la fois avec une certaine réalité biologique, et dans un contexte
socio-historique particulier. Il insiste, comme plusieurs autres, sur la notion
d’identité, en faisant comme si l’identité était un acte d’autodétermination,
ou du moins, comme si c’était ce qu’elle devrait être pour être authentique.
Non seulement cette conception de l’identité de l’individu est erronée, mais
elle vient aussi avec une volonté d’imposer à tout un chacun de reconnaître les
identités que l’un ou l’autre peut s’inventer, ce qui devient lassant, et a
pour effet de vouloir forcer les autres à se débarrasser de leurs repères.
Les néologismes hétérosexisme et cissexisme sont des armes
rhétoriques utilisées par des militants qui ont perdu de vue aussi bien la
réalité biologique que celle de la nature profondément sociale de l’être
humain. Ces militants, qui se réclament pourtant souvent des sciences sociales
ou même de la philosophie, ont aussi perdu de vue la différence entre une norme
statistique et une norme morale. Ces mots ne seront pas inclus à mon
vocabulaire et je refuse de me laisser impressionner par ceux qui les emploient
pour culpabiliser les autres.