D’emblée, il faut savoir que c’est en tant que philosophe,
et non en tant que militante que j’écris ce billet. Je me sens interpelée par
la cause des animaux depuis de longues années, mais je n’ai jamais été très
impliquée, autrement qu’à l’échelle individuelle (en choisissant mes aliments,
mes vêtements, mes produits ménagers et cosmétiques selon certains principes
éthiques).
Il y a deux écoles de pensée chez les défenseurs des
animaux. Je préfère écrire défenseurs des animaux plutôt que végétariens,
puisqu’on peut être végétarien pour des raisons autres qu’éthique, et qu’il y a
des gens qui se sentent interpelés par la maltraitance envers les animaux sans
être végétariens. Je n’utiliserai pas non plus le mot végane, encore une fois,
pour inclure tous ceux qui ont le souci d’améliorer notre rapport avec les
autres espèces.
Les deux écoles de pensée sont inspirées des deux traditions
éthiques les plus influentes en Occident depuis le 18e siècle. D’un
côté, l’éthique kantienne, une éthique déontologique, c’est-à-dire une éthique de
principes, selon laquelle la morale réside dans le fait de respecter les
règles. De l’autre côté, l’éthique utilitariste, selon laquelle la morale
dépend des conséquences que l’on peut attendre de ses actions. Quand on adopte
un point de vue utilitariste, les règles sont plus flexibles que quand on
adopte un point de vue kantien, car les bonnes actions à faire peuvent changer
selon les circonstances, puisque les conséquences peuvent varier.
L’école de pensée abolitionniste est d’inspiration
kantienne. La deuxième version de l’impératif catégorique de Kant s’énonce
comme suit : « Agis toujours de telle sorte que tu traites l’être
humain, aussi bien dans ta propre personne qu’en la personne de tout autre,
toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen. » Pour l’exprimer
autrement, il ne faut jamais utiliser une personne humaine, en faire un
instrument pour son propre bénéfice. Cela fonde l’interdiction du mensonge et
des autres formes de manipulation pour amener quelqu’un à faire ce qu’on veut
qu’il fasse sans s’assurer de son réel consentement.
Les abolitionnistes appliquent ce principe aux animaux non
humains : leur point de vue est que toute utilisation des animaux pour le
bénéfice des humains est immorale. Ainsi, peu importe que les animaux soient
bien traités ou non, ça ne fait pas de différence. Par exemple, d’un point de
vue abolitionniste, élever des poules dans une ferme où elles ont de l’espace,
de la nourriture, n’est guère différent d’élever des poules en batterie, les
enfermant dans des cages où elles ne peuvent même pas déployer leurs ailes :
de toute façon, en vendant, en achetant, en mangeant des œufs de poule, on
utilise des animaux pour notre bénéfice. Il en va de même pour tous les autres
aliments et produits issus des animaux.
L’école de pensée welfariste est d’inspiration utilitariste.
De ce point de vue, on se pose plusieurs questions : y a-t-il d’autres
solutions que d’utiliser des animaux ? Est-il possible de minimiser les
souffrances infligées à des animaux, et le nombre d’animaux utilisés ? Quel est
le besoin humain que l’on veut combler ? S’agit-il d’un besoin ou d’un désir
superficiel ? D’un point de vue welfariste, on ne peut certes pas comparer le
fait de manger les œufs des poules que son ami fermier élève, que l’on voit
courir librement dans sa cour, avec des jeux cruels et inutiles comme le rodéo
ou la corrida. Vous aurez compris que d’un point de vue abolitionniste, dans
tous les cas, on utilise des animaux pour le bénéfice des humains.
En conclusion, je serai transparente comme toujours :
je suis plutôt de tendance welfariste, aussi je vous encourage à lire des
textes d’abolitionnistes qui pourront se rendre justice eux-mêmes.