Simon-Pierre Savard-Tremblay au colloque du Mouvement Laïque Québécois

Par: Annie-Ève Collin

Au colloque du Mouvement Laïque Québécois, Éducation et laïcité : où en sommes-nous?, tenu le 26 mai 2018, nous avons eu l’occasion d’entendre une série d’exposés fort intéressants, donnés par des panélistes de divers milieux. L’un de ces exposés a suscité chez moi un intérêt tout particulier. Il s’agit de celui de Simon-Pierre Savard-Tremblay. Autant je suis plutôt nulle en histoire, parce que je n’ai guère de mémoire pour ça, autant je trouve passionnants les exposés qui ramènent les questions actuelles dans une perspective historique (c’est d’ailleurs à se demander pourquoi j’ai si peu de mémoire pour l’histoire, mais passons).

 

Savard-Tremblay a introduit son exposé en s’inscrivant à l’encontre d’une idée répandue aujourd’hui, celle qui veut que la laïcité soit incompatible avec la démocratie. Au contraire, nous dit-il, la laïcité va de pair avec la démocratie. Selon lui, la souveraineté des États a historiquement été acquise à tout le moins en se détachant des pouvoirs religieux, sinon carrément à leur encontre. En amenant des faits historiques sur plusieurs États occidentaux (la France, l’Italie et d’autres), Savard-Tremblay a fait valoir que la souveraineté des États s’est construite par les premiers balbutiements de la laïcité, avant même que ce concept ne soit instauré.

 

Il n’est pas le premier, et sans doute n’est-il pas le dernier à dénoncer le fait que la constitution canadienne favorise le pouvoir des tribunaux, ainsi que le multiculturalisme (ne pas oublier que le multiculturalisme n’est pas le fait de la diversité ethnique dans une société, mais bien une façon spécifique de gérer cette diversité). En effet, les tribunaux peuvent mettre des bâtons dans les roues au pouvoir législatif (bonjour la séparation des pouvoirs). Il nous est impossible, au Québec, d’établir une véritable laïcité, puisque les tribunaux viendraient invalider les lois à cet effet. Même ce qui a été appelé le « consensus Bouchard-Taylor » (Savard-Tremblay signale que cela n’a rien d’un consensus : ce sont des conclusions décidées par deux universitaires qui n’ont rien de représentants de l’ensemble des Québécois) aurait été invalidé par les tribunaux si on avait voulu l’appliquer.

 

La laïcité, a-t-il ajouté, est bien un concept qui vient de France, mais il ne faut pas confondre, selon lui, la laïcité avec la loi de 1905. La laïcisation s’inscrit dans une histoire particulière pour chaque nation. Elle s’inscrit, au Québec, dans une histoire qui lui est spécifique, notamment avec la Révolution tranquille.

 

Savard-Tremblay a conclu son exposé en nous rappelant ce qu’est vraiment la laïcité. Elle n’est pas en soi une critique des religions : elle permet la critique des religions, ce qui est très différent. En entendant cette partie de son exposé, cela m’a rappelé les affiches dans certaines manifestations pour la Charte des valeurs du Parti québécois, des manifestations que j’ai quittées presque immédiatement après mon arrivée, avant même que la marche commence, en raison de ces affiches montrant que de nombreux manifestants n’avaient rien compris. On y voyait entre autre de nombreux slogans anti-voile islamique et anti-islam. Oui bien sûr, ceux qui me lisent savent fort bien que je suis contre le voile et que je suis anti-théiste, donc également anti-islam. Cependant, cela est mon point de vue de citoyenne. La laïcité, ce n’est pas un État qui adopte de telles positions, mais un État qui me permet à moi de les adopter, qui permet aux citoyens de les adopter ou d’en adopter d’autres. La seule position que l’État laïc doit avoir face au voile islamique est la suivante : en tant qu’il est un signe religieux, les représentantes de l’État doivent s’abstenir d’en porter un, au même titre que n’importe quel autre signe religieux, pendant qu’elles occupent leur poste de représentante de l’État. Savard-Tremblay a fort bien débusqué une erreur fréquente chez des partisans de ce qu’on appelle la laïcité stricte.

 

Il a également débusqué une erreur fréquente chez les partisans de ce qu’on appelle la laïcité ouverte (qui est autant de la laïcité que mon chat de bengal est un chien). L’État laïc n’est pas un État qui reconnaît toutes les religions, n’en déplaise à Charles Taylor, Jocelyn Maclure et Michel Seymour. L’État laïc se détache des religions, il les laisse en dehors de ses actions. Ce que l’État laïc reconnaît est plutôt la liberté de conscience. La laïcité n’est pas une idéologie, mais un mode d’organisation sociale qui réaffirme la frontière entre la vie publique et la vie privée et qui protège la liberté de conscience. Savard-Tremblay fait d'ailleurs un joli pied-de-nez à l'idéologie multiculturaliste en faisant remarquer qu'une telle organisation sociale devient d'autant plus pertinente dans une société dans laquelle les citoyens ont des croyances religieuses diverses, comme la nôtre.

 

Je conclurai ce billet avec une réflexion qui m’est venue sur les safe spaces en écoutant mon confrère : ceux-ci s’inscrivent pour ainsi dire dans cette confusion ambiante entre vie privée et vie publique. L’individualisme outrancier de notre époque amène les individus à s’imaginer, plus ou moins consciemment, que leur vie privée a sa place partout. Vouloir un safe space à l’université, revient à vouloir être aussi confortable dans un lieu public, un lieu de savoir et de débat, que dans son propre salon.

 



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