Ni identité ni complémentarité

Par: Annie-Ève Collin

D'emblée, je laisserai savoir que je ne suis pas de ceux qui croient que les différences entre les sexes sont entièrement l'oeuvre de la culture, de la socialisation, de la société humaine, quoi. Je ne suis pas non plus de ceux qui croient que les différences que l'on peut observer sont entièrement le reflet de différences biologiques. Comme pratiquement tout ce qui concerne l'être humain, les différences entre les hommes et les femmes sont le résultat d'une combinaison, ou plutôt devrais-je dire d'une interaction entre des prédispositions biologiques et l'environnement, surtout social.


Il ne faut pas non plus négliger les différences individuelles : on peut identifier des différences générales entre les sexes, mais il y a aussi des différences d'une fille à l'autre, d'un garçon à l'autre, d'une femme à l'autre et d'un homme à l'autre. 

L'objet de ce billet est de mettre en lumière deux raisonnements que je considère l'un et l'autre comme des erreurs. Cela demande de rappeler une distinction souvent mise de l'avant, mais que les êtres humains ont néanmoins tendance à oublier, peut-être en raison de notre tendance naturelle à vouloir ou à supposer qu'il y a une finalité, une intention derrière les choses. Cette distinction, c'est celle entre les faits et les normes. Le fait est qu'il existe des différences biologiquement explicables entre les mâles et les femelles chez tous les mammifères ; ces différences sont plus ou moins probantes selon les espèces. Elles existent dans notre espèce. Cela est un fait. Les deux sexes ne sont pas identiques. 

Qu'ils ne soient pas identiques ne remet aucunement en question leur égalité en droit : les droits sont des normes et non des faits. Bien sûr, il faut tenir compte des faits quand on établit les normes. Il est possible - je dirais même avéré - que dans certaines situations, un traitement différent entre les sexes soit justifié par l'égalité de droits, alors que dans d'autres circonstances, une identité de traitement s'impose pour respecter l'égalité de droits.

C'est une erreur de faire reposer le principe d'égalité (un principe est une norme) sur l'hypothèse de l'absence de différences descriptives. S'il fallait que tous les humains soient identiques pour être égaux en droit, alors la conclusion serait claire : nous ne sommes pas égaux en droit car nous sommes loin d'être tous identiques. Mais de toute façon, les différences, que ce soit entre hommes et femmes ou entre d'autres catégories d'êtres humains, ou entre les individus, sont des états de fait qui n'impliquent, au sens logique de ce terme, aucune différence en ce qui concerne les droits. C'est donc la première erreur que je souhaitais mettre en lumière.

La seconde erreur consiste à prendre comme prémisse le fait des différences entre les sexes pour en conclure que l'homme et la femme sont complémentaires. Encore là, c'est partir d'un état de fait et supposer que cet état de fait implique logiquement une façon dont on doit agir : c'est confondre faits et normes. La différence est subtile mais il importe de la faire : tenir compte des différences générales entre les sexes pour orienter nos façons d'agir est parfaitement légitime, il serait même problématique de ne pas le faire. Mais il est tout aussi problématique de dire : "Les hommes ont été créés (ou simplement existent) pour faire ceci, les femmes, pour faire cela ; tu es un garçon, alors tu es censé être comme ceci et tu n'es pas censé être comme cela, alors que ta consoeur, c'est l'inverse."

D'abord, il y a des différences entre les sexes, mais il y a aussi des points communs entre les êtres humains des deux sexes. Il y a des activités pour lesquelles plus d'hommes que de femmes sont doués, des activités pour lesquelles c'est l'inverse, mais il y a aussi des activités pour lesquelles le sexe ne fait aucune différence.

Ensuite, les différences d'un individu à l'autre ne sont pas négligeables. Un homme qui aime prendre soin des enfants et souhaite en faire son métier fait partie d'une minorité parmi les humains de son sexe ; je suis de ceux qui sont convaincus que l'explication de cet état de fait est partiellement biologique : nous sommes des primates et chez les primates, les femelles sont généralement davantage portées vers le soin des petits. De là à dire que toute femme DOIT aimer prendre soin des petits, alors que les vrais hommes n'ont aucun intérêt pour le métier d'éducateur en garderie ou d'enseignant à la préscolaire, il y a un énorme pas de franchi. Que certains hommes soient intéressés par de tels métiers est également un fait. Qu'ils soient une minorité par rapport à une norme statistique ne veut absolument pas dire qu'ils enfreignent du coup une norme éthique. 

Pour Noël, vous avez acheté une poupée à votre fillette et un camion à votre garçonnet? Ceux qui vous traitent de méchants parents rétrogrades qui appuient le patriarcat exagèrent certainement, votre choix de cadeaux est probablement justifié par des différences générales entre les sexes. Cela est d'autant plus vrai dans les cas où votre fille et votre fils sont tous les deux bien contents de leur cadeau et ne semblent pas du tout envier le cadeau de l'autre. Seulement, pour les parents dont la fille aime particulièrement les petites voitures, votre fille n'enfreint aucune norme éthique non plus, elle est simplement dans une minorité par rapport à une norme statistique.

Nous ne sommes ni identiques, ni complémentaires. Nous sommes différents ; il faut en tenir compte sans être trop rigide dans les différences que l'on établit sur le plan normatif.



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