Et si on ne veut pas manger halal ou casher?

Par: Annie-Ève Collin

J'étais catholique pratiquante et j'ai apostasié à 22 ans. Je n'ai pas seulement quitté la religion catholique, je suis devenue anti-théiste. Les enfants de mes frères ont été baptisés. Mes frères savaient que je n'irais pas à la cérémonie. Je refuse d'entrer dans un lieu de culte. Je refuse de cautionner une religion théiste, même de manière symbolique. Cela fait-il de moi une xénophobe? Aussi longtemps qu'il s'agit de la religion catholique, je suis certaine que personne ne le prétendra.


Mais puisque je refuse d'appuyer une religion théiste de quelque manière que ce soit, je ne veux pas non plus acheter ou consommer des aliments qui ont la certification halal ou casher. N'est-ce pas mon droit? La Voix de l'est nous a gratifiés d'un texte dans lequel elle associe le fait de promouvoir une entreprise qui produit des aliments qui n'ont pas de telles certifications à l'extrême-droite et qualifie, dans son titre, la campagne pour les produits de la ferme Chagnon de xénophobe.

Les juifs pratiquants refusent de manger des plats traditionnels des cultures occidentales chrétiennes parce qu'ils contiennent du porc, ou des fruits de mer, ou un mélange de viande et de produits laitiers, ou tout simplement des aliments qui ne sont pas certifiés casher. Est-ce que ça fait d'eux des xénophobes qui rejettent les chrétiens ou les Occidentaux? Bien sûr que non. Les musulmans pratiquants, la même chose pour les aliments qui ne sont pas halal. En quoi quelqu'un qui refuse de cautionner des religions qu'il n'endosse pas est-il davantage xénophobe?

Bien sûr, on met en lumière qu'un groupe de militants a invité les gens à éviter les produits halal et casher et à privilégier une entreprise qui n'offre pas de produits avec de telles certifications. Ne sont-ils pas dans leur droit? Les juifs pratiquants incitent d'autres gens à manger casher. Les musulmans pratiquants incitent d'autres gens à manger halal. Il n'y a pas de mal à inviter les gens à adopter une ligne de conduite que l'on considère comme la bonne.

Selon le billet paru dans La Voix de l'est, le groupe Pas de religion dans nos assiettes se soucie de l'impact financier des certifications religieuses. Il y a lieu de se demander, en effet, si les certifications religieuses impliquent des frais pour les entreprises, qui viennent du coup augmenter les prix payés par les consommateurs : quand les entreprises doivent payer davantage pour la production, il y a des chances que cela entraîne une augmentation des prix de vente. Si tel n'est pas le cas pour les certifications halal et casher, alors il suffit de détromper ceux qui craignent que ce soit le cas. Leur souci n'a rien de xénophobe : ne pas vouloir payer plus cher pour des certifications religieuses dont on n'a personnellement rien à cirer n'est pas de la xénophobie.

Ceci dit, pour ma part, frais supplémentaires ou pas, je refuse de cautionner ne serait-ce que symboliquement les religions. Il n'y a aucune xénophobie là-dedans. La liberté de conscience, c'est valable pour les anti-théistes aussi. J'entends d'ici ceux qui veulent me dire quelque chose comme : "Franchement, tu fais du zèle, qu'est-ce que ça peut faire, une simple certification?" OK ! Qu'est-ce que ça peut faire s'il n'y en a pas ? On ne demande pas aux religieux pratiquants de justifier leurs choix de consommateurs face aux autres, et ils n'ont pas à le faire en effet. Et moi non plus.

Il est à noter que le journaliste qui a écrit le billet se fie à un blogueur qui voit de l'extrême-droite partout et qui est bien loin de se limiter à publier des "observations et des découvertes". Si ce blogueur est la seule source que le journaliste a trouvée pour confirmer que le groupe Pas de religion dans nos assiettes est xénophobe, permettez-moi d'avoir de sérieux doutes. D'ailleurs, ce blogueur a la bêtise de faire un lien avec la laïcité sur le partage du texte de La Voix de l'est sur sa page Facebook. À moins que le groupe Pas de religion dans nos assiettes milite pour interdire la vente de produits halal ou casher (ce qui est à distinguer de chercher à convaincre d'autres gens de ne pas en acheter), ce blogueur fait des amalgames douteux (et ce n'est pas la première fois qu'il en fait). Il ne s'agit pas d'appliquer la laïcité à l'épicerie, mais du droit d'un consommateur qui ne veut pas de religion dans son assiette, à faire ses choix alimentaires en ce sens.

Si des gens refusent qu'on leur impose la nourriture halal ou casher, que ce soit en ne servant que ça dans des milieux comme les écoles ou les hôpitaux, ou en en vendant tellement dans les épiceries qu'il devient difficile de se nourrir sans cautionner des religions, eh bien leur liberté de conscience est tout aussi importante que celle des religieux pratiquants. Ça pourrait être le fait d'anti-théistes comme moi. Ça pourrait aussi être le fait de chrétiens qui ne veulent pas cautionner une religion autre que la leur : bien que je sois contre le christianisme, ces gens seraient tout autant dans leur droit, tout comme un juif qui refuse de manger halal serait dans son droit de ne pas vouloir cautionner une autre religion que la sienne. 



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