« Un jugement de fait, c’est
quelque chose qu’on peut vérifier par expérience et qui rallie tout le monde,
un jugement de valeur, c’est subjectif, c’est une question d’opinion
personnelle. » entend-on souvent. Si simple...et comme bien souvent, quand
c’est aussi simple, c’est que c’est erroné.
Sam Harris a longuement
développé, dans son livre The Moral
Landscape, sur son idée que les jugements de valeur sont somme toute un
certain type de jugement de fait. « La cigarette est mauvaise pour la
santé. » est un jugement de valeur – ça ne pourrait pas être plus évident,
dire que quelque chose est mauvais relève de l’évaluation – mais c’est AUSSI un
jugement de fait : c’est entièrement objectif.
Sam Harris explique fort bien
en quoi les jugements de valeur sont objectifs et je n’aurais pas la prétention
de faire mieux que lui dans un billet de quelques paragraphes. Je prendrai
plutôt quelques lignes pour m’objecter à la proposition suivante : « Pour
que ce soit un jugement de fait, il faut que ça puisse être vérifié
empiriquement. »
Un jugement de fait, est un
jugement qui est entièrement objectif, c’est-à-dire dont la véracité ne dépend
aucunement de la subjectivité de qui que ce soit. Les faits existent
indépendamment de nous, qu’on soit capable de les connaître ou de les vérifier
ou pas. On ne peut donc pas faire de notre capacité cognitive la condition pour
admettre qu’un jugement porte sur une question factuelle.
Je pars d’un point de vue
réaliste. On parle ici de réalisme philosophique, c’est-à-dire le fait de poser
qu’il existe une réalité objective, et qu’on est capable de la connaître en
partie. Le réalisme philosophique fait partie des positions philosophiques à la
base de la science. Si on ne partait pas avec l’a priori qu’il existe une réalité
objective et qu’on peut la connaître partiellement, il ne servirait à rien de
faire de la science, puisque toute l’entreprise scientifique a pour but d’accroître
la connaissance du réel (tout en ayant conscience qu’on ne le connaîtra jamais
entièrement et que nos théories seront toujours approximatives).
Un jugement de fait peut être
faux. Quand on se prononce sur la réalité, on peut se tromper. Dans de nombreux
cas, grâce à des expériences, on peut vérifier, trancher les questions
factuelles. Mais pas dans tous les cas. C’est ici qu’il importe de distinguer
subjectivité et incertitude. Qu’on ne sache pas si un jugement est vrai ou
faux, ne veut pas dire que la réponse dépend de chacun, autrement dit, que la
réponse est subjective. Ça veut plutôt dire qu’on ne connaît pas la réponse.
Pour illustrer : « Les
asperges sont délicieuses. » : voilà un jugement subjectif. Elles
sont délicieuses pour qui prend plaisir à en manger, elles ne le sont pas pour
qui n’a aucun plaisir à en manger. Il s’agit d’un jugement de préférence qui
peut être vrai ou faux selon l’expérience de chacun. Ici, on parle de
subjectivité, et non d’incertitude.
Par contre, quand il s’agit de
jugements tels que : « Il existe des formes de vie extraterrestres. »,
ou encore « Dieu existe et Jésus était son fils. », aucune
subjectivité n’est impliquée quant à savoir si c’est vrai ou faux. Qu’on n’ait
pas les moyens de vérifier (pour le moment ou pour toujours) ne signifie pas qu’on
peut décider subjectivement de si c’est vrai ou faux.
Quand un jugement est vrai ou
faux de façon objective, c’est un jugement de fait, peu importe qu’on soit
capable ou non de vérifier s’il est vrai ou faux.