Ceux qui me lisent connaissent ma position par rapport à
l’utilisation des vestiaires et des toilettes non mixtes : ces
installations ont été séparées selon le sexe pour des bonnes raisons, et le
fait que quelqu’un revendique une « identité de genre » (peu importe
à quoi réfère ce terme dont la définition officielle n’est guère instructive)
ne devrait pas lui donner le droit d’utiliser des installations qui sont
réservées à un sexe qui n’est pas le sien. Notez que je laisse de côté ici le
projet de la ville de Montréal de faire des vestiaires qualifiés d’universels :
il semble que cette solution ait des avantages pour tous, et permette de se
changer et de se doucher dans des endroits fermés. J’attends de voir ce que
cela donnera comme résultats.
Restons-en aux endroits – encore majoritaires – où les
vestiaires sont séparés par sexe, et aux toilettes séparées par sexe. D’aucuns
invoquent le droit des personnes trans et des personnes (autoproclamées) non
binaires d’utiliser les installations dans lesquelles elles se sentent le plus
à l’aise. S’il s’agit d’un droit, alors c’est valable pour tout le monde, pas
seulement pour la minorité de gens qui revendiquent une « identité de
genre ». Et il semble évident que la majorité des gens, pour être à l’aise
dans un vestiaire, ont besoin de l’assurance que personne du sexe opposé n’y
entrera pendant qu’ils l’utilisent. L’objet principal de ce texte est de faire
valoir que la volonté de la majorité n’est certes pas un principe absolu qui
supplante tous les autres, mais que c’est un principe qui compte quand même.
Je tiens à mentionner que la préférence pour la non mixité dans
les toilettes n’a rien de stupide non plus et qu’elle pourrait bien être la
préférence de la majorité. Les militants LGBTQ ont beau ridiculiser ceux qui
osent dire qu’ils veulent des toilettes non mixtes, en leur sortant des hommes
de paille tels que « Et dans ta maison, il y a une toilette pour les
hommes et une toilette pour les femmes ? », la différence est pourtant
assez facile à concevoir. Dans une maison, il y a une salle de bain fermée,
utilisée généralement par une seule personne à la fois. Des personnes des deux
sexes utilisent la même salle de bain, certes, mais une seule personne à la
fois. La même chose est vraie pour les toilettes mixtes qu’on retrouve dans
certains endroits publics : ce sont des cabinets avec une seule toilette,
utilisés par une personne à la fois. Il en va autrement des toilettes dans
lesquelles on retrouve plusieurs cabines, une rangée de lavabos, et pour les
hommes, plusieurs urinoirs. Puis-je supposer qu’un homme en train de se
soulager dans un urinoir ne tient pas à ce qu’une femme surgisse derrière lui ?
Je sais bien aussi que les femmes qui achètent un tampon dans une distributrice,
ou qui demandent aux autres femmes si l’une d’elles en aurait un pour la
dépanner, préfère souvent faire ce genre de chose loin des hommes. Bref, il y a
beaucoup de gens qui ont besoin, pour se sentir à l’aise dans des toilettes
publiques à aire ouverte, qu’elles soient réservées aux personnes de leur sexe.
J’exposais ce raisonnement à un ami, qui m’a interrogée sur
la valeur de l’argument qui s’appuie sur la volonté de la majorité. Il m’a
demandé : « Si la majorité des Québécois était pour le retour à un
État catholique, dirais-tu que c’est la bonne chose à faire parce que la
majorité le veut? » En effet, dans cette situation, je ne dirais pas que
le principe de la volonté de la majorité doit guider l’État. Mais cela ne
montre pas que le principe de prendre en compte ce que veut la majorité n’a
aucune valeur. Ça ne fait que montrer que, comme n’importe quel autre principe,
il est à équilibrer avec d’autres principes.
Un État catholique irait à l’encontre de la liberté de
conscience. Les droits individuels existent notamment pour permettre d’éviter
la tyrannie de la majorité. Pour ce qui est des toilettes et des vestiaires, il
faut trouver des solutions pour accommoder les personnes pour qui la séparation
par sexe ne convient pas. Seulement, permettre à ces personnes d’utiliser les
installations de leur choix sans tenir compte des autres, là ça tombe dans la
tyrannie de la minorité : pour mettre une minorité de gens à l’aise, on
laisse de côté le besoin de beaucoup d’autres de se sentir à l’aise. Il faut
trouver d’autres solutions, et des solutions ont été proposées :
transformer une partie des installations en installations mixtes, par exemple.
Il existe très peu de principes qui s’appliquent de manière
absolue. Dire que le principe invoqué par quelqu’un n’est pas valable parce qu’il
n’est pas absolu, c’est un joli sophisme. J’ai aussi souvent vu ce sophisme
être utilisé pour ridiculiser la position des véganes : parce qu’il est
impossible de s’abstenir complètement de tuer des animaux, il serait ridicule
de vouloir éviter d’en tuer pour les manger quand on peut l’éviter. Un coup
parti, la majorité des gens admettent des exceptions à l’interdiction de tuer
un être humain (des exceptions telles que l’avortement, la peine de mort, l’autodéfense,
etc.) Comme dirait Sam Harris, d’où vient cette idée qu’un principe ne doit
admettre aucune exception pour avoir de l’importance?