Des mots, des genres et de la sémantique

Par: Annie-Ève Collin

Dans les discours pour revendiquer la reconnaissance de l'identité des personnes trans, on peut entendre ou lire l'argument suivant : le sens des mots évolue, le sens des mots femme et homme peut aussi évoluer.


Soit. J'ai exposé mes raisons de m'opposer à un usage de ces mots qui soit basé sur le genre, et d'autres féministes critiques du genre l'ont fait. Je ne reviendrai pas là-dessus, mais je vous réfère au chapitre de Rhéa Jean dans Liberté surveillée, un collectif dirigé par Normand Baillargeon. Vous pouvez aussi lire des féministes comme Diane Guilbault et Meghan Murphy à ce sujet. Vous pouvez aussi (re)lire ce billet que j'ai écrit par le passé.

Mon propos ici prendra une autre direction : j'ai des doutes sur la prétention de vouloir simplement utiliser les mots femme et homme dans un sens différent. Autrement dit, non seulement j'ai des raisons de m'opposer à ce qu'on définisse différemment les mots femme et homme, mais je suis également convaincue que ce n'est pas vraiment ce que veulent les militants LGBTQ-alouette, même si certains d'entre eux prétendent que si.

Les féministes critiques du genre définissent le mot femme comme "femelle adulte de l'espèce humaine" et le mot homme comme "mâle adulte de l'espèce humaine". Ces définitions sont également largement utilisées, elles sont loin d'être l'exclusivité des féministes critiques du genre.

En s'inspirant de diverses auteures, notamment Judith Butler, certains disent que les mots femme et homme sont plutôt liés au genre qu'au sexe. Sur le plan théorique, il est possible d'élaborer une définition du mot femme qui soit relative au genre. Une femme serait une personne qui se conforme dans une large mesure au genre féminin. Pour être précis, il faudrait identifier ce qui est socialement considéré comme féminin, et on pourrait alors déterminer qui est une femme et qui n'en est pas une. J'ai des raisons surtout éthiques de refuser une telle définition, mais sur le plan théorique, il serait possible de l'établir.

Pour faire une histoire courte, une telle définition aurait des implications très sexistes, et aussi très homophobes. D'une part, admettre que pour être une femme, il faut se conformer au genre féminin a pour effet d'enfermer les femelles humaines dans des rôles de subordonnées, dans des stéréotypes. Cela signifierait aussi que Chantal Hébert est moins une femme que Ludivine Reding : plutôt insultant, non? D'autre part, ça voudrait dire qu'un mâle humain homosexuel n'est pas tout à fait un homme, parce que vivre sa sexualité avec des hommes est une attitude socialement attribuée aux femmes. Judith Butler est allée jusqu'à écrire que les lesbiennes ne sont pas des femmes.

Mais passons : tout cela est peut-être insultant, mais on peut théoriquement maintenir cette position de façon cohérente. Je dis théoriquement. Parce qu'encore une fois, je doute bien fort que ce soit vraiment la position défendue par les militants LGBTQ-alouette. Je vais l'illustrer avec un exemple, mais il est à noter que c'est UN exemple, parmi un nombre incalculable d'exemples semblables.

Il y a quelques mois, Richard Martineau s'est fait bloquer de Facebook pour avoir écrit que si quelqu'un est enceinte, quelle que soit son identité, ça implique que biologiquement, c'est une femme. On l'a accusé de transphobie et même de haine. Et pourtant, si on admet que le mot femme peut avoir un sens biologique, mais qu'il peut aussi avoir un sens social par ailleurs, quel est le problème avec le fait d'affirmer que quelqu'un d'enceinte est forcément BIOLOGIQUEMENT une femme? Ça ne ferme pas la porte à reconnaître que la personne peut par ailleurs être socialement un homme.

Si les propos du genre de ceux de Martineau dérangent, je n'y vois qu'une explication : c'est que la vérité, c'est que les militants LGBTQ-alouette ne veulent pas qu'on admette un nouveau sens aux mots femme et homme, mais bien qu'on fasse semblant que les trans de sexe mâle sont des femmes au sens largement admis de ce terme, soit femelle de l'espèce humaine, et qu'on fasse semblant que les trans de sexe femelle sont des hommes au sens largement admis de ce terme, soit mâle de l'espèce humaine.

On me reproche souvent de "mégenrer" les personnes trans. Mégenrer, ça veut dire attribuer à quelqu'un un genre autre que celui auquel il s'identifie. Or, j'ai spécifié plusieurs fois que je n'utilise les mots femme et homme que dans leur sens biologique. Je n'attribue de genre à personne par l'usage de ces mots, ni par les mots madame et monsieur, fille et garçon. Pour quelqu'un qui maintient de manière conséquente que les trans de sexe mâle sont des femmes dans un sens différent du sens biologique, cela devrait lui suffire à admettre qu'en affirmant qu'un trans de sexe mâle n'est pas une femme, je ne suis pas en train d'insulter qui que ce soit, mais simplement de dire quelque chose de vrai. Pourtant, mon expérience me montre que ce n'est pas comme ça que je suis reçue par ceux qui me reprochent de "mégenrer".

Je persiste à dire que vouloir imposer à tous de reconnaître que les femmes trans sont des femmes, revient à vouloir ériger un mensonge en règle sociale. 



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