Je suis femme. Je suis blanche.Je suis nord-américaine ; occidentale ; whatever. Dans les Olympiques de l'oppression, je joue dans l'équipe des opprimés en tant que femme, mais dans l'équipe des oppresseurs en tant que Blanche occidentale. J'ai assez d'humilité pour reconnaître que je ne connais pas tout, que je ne comprends pas tout. Mais dans cette posture de femme blanche, je crois arriver à comprendre au moins en partie deux points de vue : celui des hommes face aux féministes ; et celui des femmes dites "racisées" face aux femmes blanches.
Comme Blanche, ma position face aux femmes noires, aux femmes des Premières nations, etc., est comparable à la position d'un homme face aux revendications féministes.
Comme femme, ma position face aux hommes est comparable à la position d'une femme noire face à une femme blanche.
Il y a plusieurs années, j'ai été très mal reçue sur un groupe Facebook de féministes, parce que j'ai donné mon opinion sur le voile islamique. Pour la énième fois, quelqu'un défendait le voile en le relativisant face à l'hypersexualisation des femmes en Occident. Plus précisément, il était question d'une poupée destinée aux fillettes musulmanes : la poupée est voilée et parlante, elle récite des versets du coran. Une dame a commenté à peu près comme suit : "Bah, entre ça et une Barbie..." J'ai commenté à mon tour. J'ai écrit à peu près ceci : "Alors vous voyez le problème que ça pose de donner aux fillettes un modèle comme la Barbie, mais vous ne voyez pas le problème que ça pose de leur donner le modèle d'une femme qui se sent obligée de se couvrir de la tête aux pieds dès que des hommes peuvent la voir ? D'une façon comme de l'autre, c'est de la soumission, puisque la femme ne se sent pas autorisée à s'affranchir du regard des hommes dans sa façon de s'habiller. La question n'est pas d'être trop couverte ou pas assez, mais bien de ne pas pouvoir s'habiller sans se soucier au premier chef du regard des hommes. La femme qui se croit obligée d'être toujours sexy, indépendamment de son confort, de la température, des activités qu'elle souhaite pratiquer, etc., pour plaire aux hommes, ou celle qui se croit obligée de se couvrir de la tête aux pieds, indépendamment de la température, de son confort, de ses activités, etc., afin de ne pas susciter le désir des hommes,c'est kif kif. C'est s'habiller constamment en tenant compte principalement du regard des hommes." On a illico pointé le fait que j'étais blanche et occidentale. Je me suis fait dire : "Encore des Occidentales qui croient savoir mieux que les musulmanes ce qui est bon pour elles. Elles n'ont pas besoin de votre opinion !" On me disait pour ainsi dire de me la fermer parce que je suis occidentale. Que ça faisait en sorte que mon opinion n'importe pas.
J'ai essayé de défendre rationnellement mon point de vue et de montrer que mon opinion ne vient pas d'un mépris pour les cultures différentes de la mienne. J'ai donc rapporté que ma propre mère m'interdisait de porter des shorts et des camisoles, qu'elle m'expliquait qu'il ne convient pas pour une fille ou une femme d'être peu couverte, parce qu'il ne faut pas susciter le désir des hommes, il faut se protéger du harcèlement et des agressions. J'ai toujours refusé net ce discours, qui me paraît opprimant pour les femmes. Or c'est exactement avec ce discours que l'on justifie le voile islamique. Si je refuse ce discours d'une catholique blanche, il est conséquent que je le refuse également lorsqu'il vient d'une musulmane arabe (j'ai précisé "arabe" tout simplement parce que mes interlocutrices avaient elles-même mentionné les femmes arabes en me parlant des femmes "racisées", et c'est précisément envers les femmes arabes qu'elles me reprochaient de faire preuve de paternalisme). Alors là, j'ai eu droit à de l'indignation parce que j'avais employé à plusieurs reprises les mots "musulman arabe". Mes interlocutrices arabes l'ont perçu comme un signe de racisme, si j'ai bien compris, parce que je soulignais l'origine ethnique des autres (mais pourtant, c'est surtout elles qui insistaient sur le fait que je suis blanche et occidentale!) D'autres femmes, se présentant comme des Occidentales, se sont jointes pour dire que nous devrions rester neutres sur les pratiques des autres cultures, surtout que nous faisons partie de la classe privilégiée en tant qu'Occidentales, alors nous devons être très prudentes.
J’ai aussi fait valoir que ma critique du voile islamique est faite par plusieurs femmes qui viennent de cultures musulmanes. Encore une fois, pour montrer que ce n'est pas une question que le voile ne soit pas occidental, ce n'est pas que je crois l'Occident supérieur, seulement il me semble qu'il y a des bonnes raisons, d'un point de vue féministe, de s'opposer au voile. Rien à faire. D'ailleurs c'était sans issue, parce que remarquer que Nabila Ben Yousseff est arabe, c'est encore réduire une femme arabe à sa "race", la raciser quoi...
Bref, je me suis fait reprocher d'agir en dominante, moi qui viens de la classe dominante des Blancs, je me suis fait reprocher de raciser les autres. De mon point de vue, c'était pourtant moi qui me faisais constamment rappeler ma couleur et mon origine culturelle. On m'avait bel et bien dit que je n'avais pas à avoir d'opinion parce que je suis blanche (enfin, si, j'avais le droit d'avoir une opinion, à condition que ce soit celle que les femmes "racisées" approuvent ; l'air de rien, mes interlocutrices qui se présentaient comme des Occidentales disaient qu'il fallait rester neutres sur le voile en tant qu'Occidentale, mais elles-mêmes en parlaient de façon positive, ce qui n'est pas une position neutre).
Je me suis même fait dire (et là j'arrive à citer textuellement parce que la blessure que ça a causé a solidement ancré cette réplique dans ma mémoire, surtout qu'elles ont été deux à me la servir) : « Les femmes comme toi ne sont pas mes alliées, elles sont mes ennemies. » Je me sentais vraiment coincée. Je ne pouvais rien dire, parce que j’étais blanche. J’avais beau peser mes mots, et essayer de m’ouvrir en disant : « Il se peut qu’il y ait une attitude dominatrice de la part des féministes blanches et que je ne m’en sois pas rendu compte. » J'aurais voulu qu'elles m'expliquent...mais tout ce que je me suis fait répondre, c’est :« C’est exactement ça que tu fais! » Si j’ai une attitude de dominante en tant que Blanche, c’est de façon inconsciente. Si j’ai ce genre de comportement, je suis ouverte à ce qu’on me le démontre ; je veux bien admettre mes erreurs et chercher à m’améliorer. Mais quand je me suis fait traiter comme ça, ce que j’ai reçu comme message, c’est : « Ta gueule la Blanche ! Tu peux parler pour nous donner raison, mais sinon, t’as rien à dire! » Le résultat : cet échange n'a rien eu de constructif. J’en ai tiré la conclusion que c’étaient elles, les racistes. Racistes contre les Blancs. Mais non, ça n’existe pas le racisme anti-Blancs… Je sais bien que les Blancs sont socialement privilégiés, qu'il n'y a pas de discrimination systématique, historiquement installée envers les Blancs, alors qu'il y en a envers plusieurs groupes ethniques (Juifs, Noirs, Arabes, Maghrébins, etc.). Mais je me suis vraiment sentie attaquée à cause de ma couleur et j'ai réellement eu le sentiment que peu importe ce que je dirais, j'étais l'Ennemie parce que je suis blanche. J'ai été très blessée, je me suis sentie honnie, rejetée. Elles ont décrété que je n'étais pas leur alliée, et elles m'ont aussi enlevé l'envie de l'être.
C'est vraisemblablement le même sentiment qu'ont les hommes face, par exemple, à une manifestation féministe qui spécifie que les hommes n'y sont pas les bienvenus. Les privilèges des hommes, tout comme ceux des Blancs, sont bien installés, avec le poids de la tradition qui les maintient en place encore aujourd'hui, même si des changements importants ont eu lieu. Il n'en demeure pas moins que quand les hommes entendent parler d'une manifestation où les hommes ne sont pas les bienvenus, ils se sentent exclus en raison de leur sexe - et techniquement, ils le sont, on ne peut pas dire le contraire - ils considèrent qu'ils sont victimes de sexisme.
À l'époque, une manifestation féministe non mixte était justement prévue. J'ai jeté un coup d'oeil à l'événement facebook de la manifestation, et j'ai vu des commentaires écrits par des hommes, qui me paraissaient tout à fait respectueux. Ces hommes se faisaient tout de même illico rappeler qu'ils étaient des hommes, de sorte qu'ils n'avaient pas à donner leur avis, qu'on n'avait pas besoin de leur opinion, de leur "mansplaining" comme disent les féministes d'une certaine vague. Tout comme j'ai eu le sentiment, lors de l'échange relaté dans les paragraphes précédents, que je ne pouvais rien dire sans me faire rappeler que je suis blanche, les hommes doivent se sentir tout aussi coincés face à des féministes à qui ils ne peuvent rien dire sans se faire accuser de faire du mansplaining. Le féminisme perd sans doute des alliés masculins en raison de cette attitude. Il perd même des alliées féminines, qui disent qu'elles ne sont pas féministes parce qu'elles aiment bien les hommes ; le féminisme devient associé - à tort - au rejet des hommes et à une prétention, non pas à l'égalité, mais à un favoritisme au bénéfice des femmes.
J'ai bien conscience que les féministes qui souhaitent des espaces non mixtes, parlent de mansplaining, de patriarcat, ne détestent pas les hommes (certainement pas toutes en tout cas). Sans doute les féministes dont je parlais précédemment ne détestent-elles pas les Blancs non plus. Elles sont sur la défensive parce qu'elles sont victimes de discrimination, et c'est compréhensible. Mais dans ma position face à elles, ou dans la position d'un homme face à des attitudes comme celles qui viennent d'être décrites, on se sent essentialisé, rejeté et diminué à cause d'un sexe et d'une couleur qu'après tout, on n'a pas choisis...bref, je comprends l'indignation des hommes.
En conclusion, dans tout ça, je me sens prise entre l'arbre et l'écorce...je crois comprendre mieux le point de vue des hommes face au féminisme que celui des personnes racisées face aux Blancs puisque, une fois encore, il est difficile d'avoir pleinement conscience d'une forme de discrimination dont on n'est pas la victime (comme dirait l'autre, les privilèges, c'est comme la mauvaise haleine : on s'en rend compte seulement quand ce sont les autres qui les ont). Malgré tout, je crois pouvoir m'avancer à dire que je comprends un peu ces deux camps.