On apprend qu’en Angleterre,
le véganisme est désormais considéré, au même titre que les religions, comme
une caractéristique pour laquelle il est interdit de faire de la
discrimination.
Sans être végane, je considère
que certaines utilisations des animaux doivent être éliminées, et que d’autres
doivent être diminuées et que les conditions doivent changer. La consommation de
viande et autres aliments d’origine animale ne doit pas être éliminée, mais il
faudrait la réduire. Bref, les véganes ont en partie raison.
Par contre, que le véganisme
devienne explicitement considéré comme une caractéristique pour laquelle on est
protégé, mise sur le même pied qu’une option religieuse, est selon moi un
problème, et je vais expliquer pourquoi. Bien entendu, la liberté de conscience
implique – entre autres choses – qu’on ne doit pas discriminer quelqu’un parce
qu’il est végane, et je suis d’accord avec cela. Mais revendiquer des droits
particuliers en tant que véganes, c’est perdre de vue qu’on n’est pas végane
pour soi-même, mais pour autrui.
Avant de m’expliquer, il
convient de faire quelques précisions. J’admets que certains véganes ont un
discours dogmatique et font reposer leurs convictions sur des prémisses
inexactes ou incertaines. Cela peut être agaçant.
Cependant, les sophismes et
la mauvaise foi de ceux qui ne veulent surtout pas qu’on remette en question
leurs habitudes alimentaires, notamment celle de manger de la viande, du
poisson, des œufs et des produits laitiers à volonté, m’énervent beaucoup plus
que le dogmatisme de certains véganes.
Combien de fois ai-je vu des
gens invoquer qu’après tout, les loups, ou encore les lions, mangent bien de la
viande, eux. Oui...est-ce que tout ce que font les loups ou les lions est
automatiquement moral de la part d’un être humain ? Bien sûr que non, et je
suis certaine que tous ceux qui invoquent cet argument fallacieux en ont
parfaitement conscience, bien qu’ils l’oublient temporairement quand vient le
temps de se justifier dans leurs habitudes alimentaires.
Il y a aussi la prétention
que « nous autres », notre alimentation est naturelle ; si les
véganes veulent choisir une façon de s’alimenter influencée par des valeurs
spéciales, c’est leur affaire, mais qu’ils n’imposent pas ça aux autres ; après
tout, chacun est libre de ses choix. Cette position est critiquable à plusieurs
égards.
Premièrement, quelle que soit
la façon de s’alimenter, elle implique des choix orientés plus ou moins
consciemment par des valeurs, qu’il s’agisse de valeurs morales ou de valeurs
culturelles.
Mais je veux surtout insister
sur un autre aspect critiquable de la position énoncée deux paragraphes plus
haut : la place, non pas simplement centrale, mais pratiquement exclusive
qui est donnée au principe de liberté individuelle – pour les humains seulement.
« Pourquoi les véganes veulent-ils toujours convaincre les autres ?
Pourquoi ne peuvent-ils pas manger comme ils veulent et laisser les autres
manger comme ils veulent ? » demande-t-on souvent, parfois avec
exaspération.
Pourquoi ? Parce qu’il ne s’agit
pas de « manger comme on veut ». Les véganes ne sont pas véganes pour
eux-mêmes, mais selon des considérations qui dépassent leur petite personne,
notamment le respect ou le bien-être des animaux et le souci pour l’environnement.
La liberté individuelle des
humains est un principe important. Mais aucun principe n’est absolu. Tous les
principes moraux, et même légaux, doivent être mis en balance avec d’autres
principes. Il faut trouver un équilibre entre les divers principes. Si imposer
le véganisme n’est certainement pas la bonne solution, manger en ne tenant
compte que de ses préférences sans s’interroger sur les impacts de nos choix
alimentaires ne l’est pas non plus.
Certains pourraient avoir
envie de me rétorquer que les véganes font du respect des animaux le principe
absolu, sans prendre en compte les autres facteurs importants quand on s’interroge
sur l’utilisation qu’on fait des animaux. Je ne leur donnerais pas entièrement tort.
Mais ça ne vaut pas mieux de faire de la liberté individuelle des humains un
principe absolu. D’ailleurs, les véganes que je lis et côtoie ne font pas du
respect des animaux un principe absolu : ils considèrent que le véganisme
est l’option la plus éthique dans les circonstances dans lesquelles eux-mêmes
vivent, mais pas que le véganisme est à imposer de façon universelle et
intemporelle.
Pour en revenir à mon sujet
principal, voici pourquoi je suis en désaccord avec l’idée de faire protéger
les véganes dans leur véganisme, comme on protège les religieux au nom de la
liberté de religion : c’est justement parce qu’on n’est pas végane pour
soi, mais pour des raisons qui dépassent notre personne. Or demander d’être
accommodé, protégé en tant que végane, en mettant explicitement le véganisme
sur le même pied que les religions, suggère justement qu’on est végane pour soi-même
(pour des raisons spirituelles, des raisons identitaires, etc.).
Demander des accommodements
en tant que végane, c’est suggérer qu’il s’agit de respecter les véganes, et
non de faire cesser la cruauté envers les animaux et de préserver l’environnement.
C’est confirmer dans leur conception ceux qui disent : « Mange comme
tu veux, moi je mangerai comme je veux, et tout le monde sera content! »
Bref, si on sortait un peu de
l’individualisme outrancier, malheureusement trop fréquent, et qu’on cherchait
à établir des options qui laissent une marge de liberté individuelle tout en
tenant compte du bien commun, des animaux et de l’environnement?