Présentation
Le 15 janvier 2020, à l’UQAM,
avait lieu une conférence – que vous pouvez visionner vous-même en
cliquant ici – ayant pour titre « L’intersection entre l’islamophobie
et l’hétérocissexisme ». J’écrirai le compte rendu de ce que j’en ai
retenu en deux parties : la première partie, ci-dessous, portera sur la
conférence. La deuxième partie portera sur le déroulement de la période de
questions/discussion qui a suivi.
Introduction
Bon...déjà, l’hétérocissexisme,
c’est comme le Bonhomme Sept Heures (le Croquemitaine pour les Français) :
c’est quelque chose qui n’existe pas, et qu’on nomme pour faire peur. La
différence, c’est qu’avec le Bonhomme Sept Heures, on fait peur aux enfants
pour les faire aller au lit, alors qu’avec l’hétérocissexisme, on cherche à
faire peur à des adultes en espérant que ça les rallie à notre cause, ou à tout
le moins que ça les empêche de parler. Mais passons : ce n’est pas parce
qu’il y a un concept fallacieux dans le titre de la conférence qu’il n’y a rien
d’autre à en dire.
Le conférencier, Sébastien
Chehaitly, diplômé en sociologie, se présente lui-même comme queer et d’origine musulmane. La
conférence était censée porter sur une étude en cours, à laquelle il participe.
En réalité, selon la conception que j’ai d’une étude, ce dont il nous a parlé n’est
pas une étude, mais un compte rendu de témoignages d’expériences personnelles. Quelque
chose qui aurait eu sa place à une émission du genre de celle qu’animait Janette
Bertrand autrefois, beaucoup plus qu’à l’université.
Remarques sur la
méthodologie
Chehaitly a décrit brièvement
les huit répondants. On a su qu’il s’agissait de sept personnes croyantes, dont
deux pratiquantes, et une personne se disant déiste, et qu’il y avait aussi
bien des personnes homosexuelles que des personnes trans, ainsi que des
personnes qui s’autoproclamaient non binaires (bien entendu, ce n’est pas en ces
termes-là que le conférencier les a présentées, mais je vais choisir mon
vocabulaire en fonction de mes propres positions et non en fonction de l’idéologie
queer, je vous remercie).
L’échantillon a été fait de
la pire manière qu’on puisse imaginer : la « méthode boule de neige »
(on connaissait quelqu’un qui connaissait des gens, qui eux connaissaient d’autres
gens, etc.) Comment voulez-vous tirer des conclusions valables d’un point de
vue scientifique avec une méthode comme celle-là ? Il s’agit, pour ainsi dire,
d’éléments anecdotiques.
De plus, il semble que c’étaient
les participants qui déterminaient eux-mêmes s’ils avaient le profil pour
participer à l’étude, puisqu’il s’agissait de « se considérer musulman(e) »,
et non d’être musulman selon des critères précis (je reviendrai sur le problème
que pose la définition du concept d’islam et de celui de musulman dans la
deuxième partie, sur la période de questions/discussion). On peut difficilement
parler d’une démarche rigoureuse, encore moins d’une démarche scientifique.
Le conférencier a présenté la
problématique à peu près comme suit : l’Islam et l’Occident sont présentés
comme diamétralement opposés. L’Occident serait progressiste et égalitariste,
alors que l’Islam serait patriarcal et conservateur. Il semble clair que c’est
une vision beaucoup trop simpliste pour correspondre à la réalité. On sait qu’il
y a des conservateurs occidentaux (y compris des gens qui adhèrent à une forme
de conservatisme qui condamne l’homosexualité et/ou qui infériorise les femmes
par rapport aux hommes) et qu’il y a des progressistes de culture musulmane.
Cependant, il est
explicitement établi que l’on prétend s’opposer à la dichotomie en donnant de
la visibilité aux personnes qui s’identifient à la fois comme musulmanes et
comme LGBTQ+, et que la méthode est qualitative, c’est-à-dire qu’on présente la
subjectivité des participants. Or, montrer qu’il y a des personnes
homosexuelles dans les cultures musulmanes, même si elles s’identifient comme
musulmanes, ne prouve en rien que l’islam et les cultures musulmanes ne sont pas
homophobes, pas plus qu’on ne prouve que la culture états-unienne n’est pas
raciste contre les Noirs en montrant qu’il y a des Noirs aux États-Unis, même
si ce sont des Noirs qui s’identifient comme « American » (sic).
De plus, je réitère que
présenter la subjectivité des personnes, bien que ce ne soit pas sans intérêt,
n’a rien d’une démarche intellectuelle. Non seulement on présente la
subjectivité des personnes plutôt que de chercher à identifier des
caractéristiques communes à partir desquelles on pourrait faire des
généralisations (ce qui serait la moindre des choses pour pouvoir parler de
démarche intellectuelle, même avec une « approche qualitative »),
mais il n’y a que huit participants.
Conflit identitaire, ou
conflit qui dépasse la subjectivité de chacun?
Chehaitly a parlé d’un «conflit
identitaire» entre l’islam et le fait d’être LGBTQ+. Comme je m’y attendais, il
est de ceux qui présentent la religion comme un élément de l’identité des
personnes. Cela est, selon moi, fallacieux : les religions précèdent et
dépassent les gens qui y adhèrent, ou qui « s’y identifient », si
vous y tenez. Une religion est un ensemble de croyances, d’écrits, de
traditions. Il est intellectuellement illégitime de prétendre pouvoir faire ce
qu’on veut avec une religion sans éventuellement la détourner de ses origines,
de sa nature.
Le conférencier parlait de
conflit identitaire, mais s’il y a un conflit entre l’islam et l’homosexualité,
il m’apparaît, à la lumière de ce que je connais des principes de l’islam, que
ce n’est pas au niveau de l’identité des individus. Le conflit est justement
entre les principes de l’islam et l’homosexualité. Une dame, anthropologue, qui
a étudié longuement les religions abrahamiques, a profité de la période de
questions pour le faire valoir, j’y reviendrai dans la deuxième partie.
Le conférencier a insisté sur
la souffrance que cela cause aux participants que l’on présente leur religion
et leur orientation sexuelle (ou leur rejet de leur sexe pour ceux qui sont
trans ou qui s’autoproclament non binaires) comme entrant en contradiction. On
ne peut guère douter que cela leur cause de la souffrance, mais cette
souffrance ne prouve en rien que la contradiction n’est pas réelle. Rien, dans
l’exposé, ne montrait le début d’une démonstration que la contradiction n’est
pas réelle, sauf peut-être la citation des propos d’un des participants, selon
qui les lois homophobes dans les pays musulmans viennent des colonisateurs
blancs – affirmation qui demanderait d’être étayée par des preuves historiques.
Les citations de témoignages
des participants rapportées durant la conférence ont été classées dans trois
catégories donnant lieu à un exposé en trois parties. Dans les prochains
paragraphes, je rapporte ce que j’en ai retenu.
Rapport des participants
avec l’islam, leur famille et leur communauté diasporique
Selon ce qu’a rapporté le
conférencier, les participants ont surtout fait valoir que les musulmans
homosexuels ne sont pas les seuls à faire des choses qui sont interdites selon
les principes enchâssés dans les textes fondateurs de l’islam. Cela ne prouve
pas que l’islam permet l’homosexualité, cela prouve seulement que l’islam
interdit autre chose en plus de l’homosexualité. En fait, ça revient même à
reconnaître explicitement que l’islam condamne bel et bien l’homosexualité.
J’ai moi-même profité de la
période de questions/discussion pour faire une remarque à ce sujet, j’y
reviendrai dans la deuxième partie.
Rapport des participants avec
le Québec, le Canada et les communautés LGBTQ+ locales
Sur les huit participants,
six ont vécu dans un pays musulman une partie de leur vie. Les participants
reconnaissent avoir vécu davantage de crainte et d’homophobie dans leur pays d’origine
et disent apprécier les protections légales dont ils jouissent ici au Québec.
Ils regrettent cependant que
leur culture d’origine soit perçue négativement – ce qui est légitime, les
cultures musulmanes n’ont quand même pas que des défauts. Pas plus que les
cultures occidentales (clin d’œil à la gauche intersectionnelle qui diabolise l’Occident).
Somme toute, l’exposé ne
rapporte vraiment pas assez de choses pour qu’on puisse considérer qu’on a
appris quelque chose de substantiel sur ce que ça implique d’être à la fois
musulman et LGBTQ+, tout en vivant au Québec. Vous pouvez vous rendre compte
par vous-même en cliquant sur l’hyperlien au début de ce texte.
J’ai toutefois relevé une
citation en particulier : l’un des participants s’est adressé aux
Québécois en disant que ce n’est pas parce qu’eux ont un mauvais rapport avec
la religion et qu’ils ont « divorcé » d’avec elle qu’ils peuvent
imposer aux autres communautés de faire pareil. Mais ce participant n’est-il
pas maintenant un Québécois lui aussi ? Veut-il s’intégrer parmi nous, ou
veut-il qu’on le considère comme faisant partie d’un autre groupe ?
Être LGBTQ+ et musulman :
des identités intersectionnelles
L’exclusion et la
diabolisation des Blancs, typiques de la gauche intersectionnelle, se retrouve clairement
dans les parties rapportées du discours des participants. L’un d’eux blâme les
hommes gais blancs, allant jusqu’à dire qu’on dirait que ces derniers veulent
développer une suprématie gaie blanche. D’ailleurs, le vocabulaire à la fois
typique et entrecoupé de franglais qu’on entend dans les citations rapportées
par le conférencier, laisse entendre que les participants sont eux-mêmes des
gens endoctrinés par les dogmes de la gauche intersectionnelle.
L’une des participantes
mentionne que « les personnes racisées LGBTQ+ » peuvent se
comprendre, mais que les Blancs ne peuvent pas comprendre, comme s’il existait
une seule culture en dehors de l’Occident. Je vois mal en quoi un homosexuel
pakistanais, a priori, a plus de points communs avec un homosexuel japonais qu’avec
un homosexuel québécois.
Par ailleurs, admettons qu’on
en reste à la compréhension mutuelle qui peut exister entre ceux qui sont
homosexuels (ou trans ou autoproclamés non binaires) et musulmans. Dire qu’entre
personnes qui partagent d’être LGBTQ+ et musulmanes, on peut se comprendre,
rejoint et confirme la remarque que je faisais plus haut : même dans une
démarche qualitative, on peut établir des généralisations. Et cela aurait dû être
fait pour qu’on puisse parler d’une démarche rigoureuse.
En guise de conclusion
Durant la conférence ET
durant la période de question, j’ai remarqué un geste fait par plusieurs des
personnes présentes (parfois seulement une ou deux, parfois un grand nombre ne
même temps), et je crois avoir compris qu’il s’agissait d’un geste qui signifie
qu’on est d’accord avec ce qui vient d’être dit. Il s’agit de lever les deux
mains et de les secouer. Le même geste que l’on fait en chantant « Ainsi
font font font, les petites marionnettes », dans la comptine pour enfants (pour
ceux qui ne connaissent pas ou ne se souviennent pas, cliquez ici). Ce geste n’est
qu’un des signes de l’immaturité d’une grande partie de l’audience présente à
cette conférence. J’en dirai beaucoup plus long à ce sujet dans la deuxième
partie.