Depuis quand un être humain est-il "valide"?

Par: Annie-Ève Collin

Le vocabulaire d’une certaine frange de gauche évolue vite : ceux qu’on appelait il n’y a pas si longtemps les SJWs (social justice warriors, guerriers de la justice sociale), après les avoir désignés un moment par l’expression trouvée par Maajid Nawaz « gauche régressive », et dont il semble qu’on les appelle désormais les wokes, bref, eux, là, utilisent un bon nombre de termes et d’expressions qui semblent n’exister que dans leur cercle. Puisque je les lis régulièrement – parfois volontairement, mais souvent aussi parce qu’ils s’imposent sur mes pages dans le cadre de cyberharcèlement à mon endroit, mais ça c’est une autre histoire – j’ai l’occasion de remarquer qu’il s’ajoute des nouveaux mots et des nouvelles expressions assez fréquemment. Souvent, ce ne sont pas les mots eux-mêmes qui sont nouveaux, mais le sens que les « wokes » leur donnent.

 

Dans les derniers mois, j’ai remarqué l’usage d’un mot en particulier, dans le cadre de la défense par les wokes de l’idéologie du genre. Il s’agit du mot « valide ».

 

Les wokes font des reproches aux féministes universalistes qui s’opposent à l’idéologie du genre : celles qui rappellent que le mot « femme » réfère aux femelles humaines, et que pouvoir référer au sexe est important pour les femmes, puisqu’elles subissent discrimination et violence sur la base de leur sexe et que les différences entre les sexes font en sorte que les femmes ont des intérêts que l’on peut qualifier de sexo-spécifiques, et que ces intérêts doivent être pris en compte par la société pour que celle-ci soit équitable pour les femmes.

 

Rien de nouveau ici. Les wokes reprochent à ces femmes d’insister sur la définition du  mot femme basée sur le sexe, parce qu’elle implique que les personnes trans de sexe mâle qui s’identifient au genre féminin ne sont pas des femmes, et selon eux « dire que les femmes trans ne sont pas des femmes, c’est de la transphobie », et puisque c’est important pour les personnes trans que les autres reconnaissent ce qu’on appelle leur genre, ça devrait être tout ce qui compte ; quiconque ne cède pas à ça est juste méchant aux yeux des wokes. Manifestement, que ce soit important pour les femmes de pouvoir parler de leur sexe et de ses implications, ils n’en ont rien à faire : la solidarité et l’empathie des wokes est partielle et partiale, ce n’est pas nouveau ça non plus.

 

Mais ce qui a capté mon attention au cours des derniers mois, c’est ceci en particulier : les wokes reprochent à ces féministes « d’invalider » les personnes trans. Ils font le même reproche à quiconque, féministe ou pas, qui rappelle que le sexe est réel et que les mots femme et homme réfèrent respectivement à la femelle humaine et au mâle humain. Rappeler ce fait biologique et ce fait sur la langue française équivaudrait à dire que les personnes trans ne sont pas « valides ».

 

J’ai vu des wokes affirmer, à la manière d’une déclaration religieuse solennelle (ça me faisait penser à chaque fois à la récitation du credo des baptisés quand on m’endoctrinait dans la religion catholique), en s’adressant à une personne trans : « Tu es valide! », ou simplement affirmer en général : « Les personnes trans et non binaires sont valides ! »

 

Il est important de noter que les féministes universalistes critiques de l’idéologie du genre ne disent jamais que les personnes trans sont « invalides », ni elles ni personne en fait, en dehors des wokes, les gens n’utilisent pas le concept de validité alors qu’ils parlent d’êtres humains.

 

Est-ce censé être une démonstration de respect de dire que des êtres humains sont valides ? Il m’apparaît que c’est tout le contraire ! Depuis quand est-ce qu’un être humain est valide ou invalide ? Une carte de crédit est valide ou non ; un permis de conduire est encore valide ou il est échu, et il peut être invalidé si la personne qui le détient fait des bêtises liées à la conduite automobile. On fait valider des choses qui ont pour nous une valeur utilitaire! Parler de validité pour des humains me paraît réducteur, j’ai presque envie de dire que c’est déshumanisant.

 

Kant est loin d’être mon philosophe favori mais il y a quelque chose de très important dans sa deuxième formulation de l’impératif catégorique, qui n’a pas influencé la tradition philosophique occidentale pour rien : on doit traiter l’être humain comme fin en soi, ne jamais réduire un être humain à être un moyen pour quelque chose, ne jamais le réduire à une valeur utilitaire.

 

En fait, le seul autre contexte où je me souviens avoir entendu parler d’êtres humains valides, par opposition à des humains invalidés, c’est le film Gattaca, avec Ethan Hawke, Uma Thurman et Jude Law, en l’occurrence, un film qui présente une société qu’on n’a pas forcément envie d’imiter...

 

Bon, il existe cet autre cas, où on qualifie de valides les humains qui n’ont pas de handicap, un usage qui me semble tout aussi problématique, et pour les mêmes raisons.

 

Mais revenons-en aux wokes : il n’y a qu’eux qui appliquent le concept de validité à des humains en parlant des personnes trans : ils prétendent que les féministes universalistes et d’autres appliquent ce concept, en disant que les personnes trans ne sont pas valides, mais c’est faux. Soit les wokes sont encore une fois en train caricaturer de manière insidieuse les positions de ceux qui ne pensent pas comme eux, de façon à les faire paraître abjectes, soit ils sont en train de s’engager dans une rhétorique déshumanisante en appliquant à des êtres humains des concepts qu’on ne devrait appliquer qu’à des objets inanimés.



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