Dans la foulée de ce qui est arrivé récemment à Nadia
El-Mabrouk, on a pu voir une accusation qui ressort constamment quand quelqu’un
remet en question l’idéologie du genre : on a accusé El-Mabrouk de nier l’existence
des personnes trans, ou encore de nier la réalité trans. On accuse de la même
chose les féministes de Pour les droits des femmes du Québec, Rhéa Jean,
moi-même, et en général, les féministes critiques du genre ainsi que tous ceux
qui ne croient pas que les « hommes trans » sont objectivement des
hommes, ni les « femmes trans », objectivement des femmes. Ceux qui
considèrent que les hommes trans sont devenus des hommes et ne l’ont pas
toujours été puisqu’ils étaient auparavant des femmes, et de même pour les
femmes trans, qui étaient auparavant des hommes, n’échappent pas non plus à
cette accusation. Il vaut la peine de décortiquer tout cela.
Il est commun de dire que les personnes trans (du moins c’est
ce que l’on dit des transsexuel(le)s) sont nées dans le mauvais corps. Dans un
précédent billet, je faisais valoir que la phrase « Je suis né(e) dans le
mauvais corps. » peut prendre trois sens différents, et qu’en aucun de ces
trois sens on n’est parvenu à prouver qu’il existe objectivement des filles
dans un corps de garçon et des garçons dans un corps de fille, des femmes dans
un corps d’homme et des hommes dans un corps de femme. Il y a d’ailleurs deux
de ces trois sens dans lesquels il est a priori impossible de le prouver ; l’un
d’eux parce qu’en ce sens, la phrase ne signifie tout simplement pas qu’il
existe objectivement des hommes nés dans un corps de femme et vice versa ; l’autre
parce qu’il repose sur des croyances métaphysiques sans aucun fondement
scientifique.
Admettons que quelqu’un prenne position comme suit : « Les
femmes trans sont en réalité des hommes. » ou encore « Les personnes
trans sont des personnes qui voudraient être de l’autre sexe. » Ce que
cette personne veut probablement dire, c’est qu’elle ne croit pas qu’il existe
des personnes qui sont objectivement des femmes dans un corps d’homme ou l’inverse.
En quoi cela revient-il à nier l’existence des personnes trans ? À nier l’existence
de la dysphorie de genre ? En disant que les femmes trans sont des hommes, ou
que les personnes trans voudraient être de l’autre sexe, on ne nie à aucun
moment leur ressenti. Sans doute sont-elles parfaitement sincères lorsqu’elles
parlent de leur sentiment d’appartenir à l’autre sexe, ou qu’elles devraient
appartenir à l’autre sexe.
Cependant, on n’est pas obligé d’admettre les croyances d’autrui,
quel que soit son degré de sincérité, spécialement pas quand il n’y a rien qui
les prouve. La dysphorie de genre n’est pas une croyance, mais une condition.
Par contre, l’hypothèse selon laquelle il existe des personnes nées dans le
mauvais corps, parce qu’en réalité elles appartiennent au sexe opposé à celui
que leur corps indique, est bel et bien une croyance, et une croyance qui ne
semble s’appuyer pour rien. Le vécu des personnes trans est certainement bien
réel, mais il ne constitue pas une preuve qu’elles sont réellement de l’autre
sexe que celui auquel leur corps indique qu’elles appartiennent.
Pour conclure, rejeter l’hypothèse selon laquelle il existe
objectivement des femmes dans un corps d’homme et vive versa, n’est pas du tout
la même chose que rejeter les droits des personnes trans. On peut tout à fait
appuyer les accommodements offerts aux personnes trans, la protection, pour ces
personnes, des mêmes droits et libertés que pour tout le monde, s’opposer à la
violence et au harcèlement envers les personnes trans, etc. Faire de la
reconnaissance d’une hypothèse non prouvée la condition pour considérer qu’on
respecte les droits d’un groupe d’humains est une stratégie fallacieuse, au
point que c’est à se demander si ceux qui prétendent que dire qu’une femme
trans est un homme revient à ne pas respecter les droits des trans sont
vraiment honnêtes.